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Au fil des lectures . Non-Fiction

Sorcières : la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet

On 12 mars 2021 by Marie

Je devais avoir 8-9 ans quand nous sommes allés à Oudewater aux Pays-Bas et que je me suis faite peser. C’était l’attraction du musée. Se faire peser et recevoir le certificat que nous ne sommes pas des sorcières/sorciers. Je dois encore avoir mon certificat quelque part. Je me souviens que je trouvais cette histoire de chasses aux sorcières étrange et surréaliste, mais sans plus. A part Ma sorcière bien-aimée, dont le nez m’amusait, les images de sorcières auxquelles j’étais confrontée n’étaient pas positives. J’ai grandi avec une méfiance de ces figures et du concept vague qu’est la sorcellerie.

Quand Mona Chollet a présenté son livre à la Grande Librairie, j’ai été intriguée par le sujet et son entretien. Quelques années plus tard, j’ai enfin le livre entre les mains et je ne le lâche plus…

Pour Chollet, la figure de la sorcière est positive et incarne la femme affranchie de toute domination, celle qui montre la voie aux autres. Dans son introduction, elle présente les chasses aux sorcières des 16ème et 17ème siècles. Elle montre ensuite comment ces évènements et l’imaginaire qui en découle ont contribué à façonner notre monde (en Europe et aux Etats-Unis) et notre représentation des femmes. Si elle survole dans ces premières pages la façon dont la figure de la sorcière a été réappropriée et revendiquée au fil des ans, le but de son livre est essentiellement « d’explorer la postérité des chasses aux sorcières en Europe et aux Etats-Unis » (34) en abordant quatre facettes de cette histoire, liées à l’identité des femmes, à savoir :

  • l’indépendance féminine
  • la criminalisation de la contraception et de l’avortement
  • l’image négative de la vieille femme
  • une nouvelle conception du savoir mise en place 

1. L’indépendance féminine

Dans le 1er chapitre, intitulé « Une vie à soi. Le fléau de l’indépendance féminine », Chollet décrit comment la femme indépendante et autonome fait peur et continue de poser problème dans la société. 

« L’autonomie, contrairement à ce que veut faire croire aujourd’hui le chantage de la « revanche », ne signifie pas l’absence de liens, mais la possibilité de nouer des liens qui respectent notre intégrité, notre libre arbitre, qui favorisent notre épanouissement au lieu de l’entraver, et cela quel que soit notre mode de vie, seule ou en couple, avec ou sans enfants » (70).

Mona Chollet

Elle considère d’abord la femme célibataire qui incarne la forme d’indépendance la plus visible, la plus évidente. La vie de la journaliste féministe Gloria Steinem (1934-) montre entre autre comment il est difficile pour certains d’imaginer la vie d’une femme qui n’est ni en couple, ni mère. La femme reste souvent associée à son statut (cf. mademoiselle-madame). Une femme qui souhaite tracer son chemin seule risque d’être considérée comme « pathétique » et « triste » et est souvent associée à la figure de la sorcière (on pense notamment au cliché de la « fille à chat »). Et si les bûchers ne sont plus à l’ordre du jour, Chollet dénonce comment certaines pratiques, certains discours misérabilistes ou condamnatoires tentent de décrédibiliser ces femmes. 

La femme en couple peut aussi aspirer à cette indépendance. L’image du vol nocturne de la sorcière illustre ce désir d’indépendance, perçue comme se faisant au nez et à la barbe du conjoint. Pour cette femme, d’autres défis sont présents. D’une part, elle risque plus facilement d’être « fondue » ; son identité est susceptible d’être brouillée avec son statut d’épouse, mère ou autre. D’autre part, la charge du foyer écope encore bien souvent aux femmes, même dans des couples « progressistes ». 

Au cours de ce chapitre, Chollet explore aussi la façon dont l’éducation des filles joue un rôle. Ainsi, les filles ne sont pas encouragées à croire en leur propre forces et ressources ni à cultiver et valoriser leur autonomie (50). 

Les femmes ont également intériorisé un rôle secondaire, ce qui constitue un obstacle psychologique important que Chollet appelle le « réflexe de servir ». Ainsi, « refuser de vous sacrifier, ou vouloir poursuivre vos propres buts, vous attire une réprobation immédiate » (78). Dans le cadre professionnel, la femme sera perçue comme carriériste, individualiste ; dans le cadre familial, comme une mégère ou une mauvaise mère. C’est ce que Chollet souligne en invitant à dépasser cette injonction :

« le seul destin féminin concevable reste le don de soi. Ou plus précisément, un don de soi qui passe par l’abandon de ses potentialités créatives, plutôt que par leur réalisation ; parce que après tout, et heureusement, on peut aussi enrichir son entourage, immédiat ou plus large, en exploitant sa singularité et en donnant libre cours à ses aspirations personnelles. Peut-être est-ce même la seule forme de don de soi que nous devrions rechercher » (80)

Mona Chollet

2. La criminalisation de la contraception et de l’avortement

Dans le chapitre suivant « Le désir de la stérilité. Pas d’enfant, une possibilité », Chollet met en évidence l’obsession en Europe à l’égard de la contraception, l’avortement et l’infanticide depuis l’époque des chasses aux sorcières. Même si l’infanticide n’est pas à considérer sur le même plan que les deux autres, les raisons qui poussent certaines femmes à cette situation sont rarement envisagées. 

Dans ce chapitre, Chollet explore la manière dont le désir ou non-désir d’enfant peut se conjuguer de mille manières. Il est ainsi difficile de juger le désir à la place des autres. Et pourtant… dans les faits, les femmes qui disent ne pas vouloir d’enfants se retrouvent face à une incompréhension, voire à un refus de les croire. Elles ne savent pas vraiment… Elles ne sont pas à l’écoute d’elles-mêmes… Leur bonne foi est remise en question. On leur projette même parfois des maternités de substitution. Selon Chollet, il y a une injonction au désir d’enfant lié à une zone de « non-pensée », où il est inimaginable que « l’instinct maternel » ne soit pas présent chez une femme. Les stéréotypes des femmes sans enfants en disent long : « corps desséché par la vacuité de leur utérus » (105), ou encore des femmes qui détestent les enfants. 

Chollet clôture ce chapitre en abordant un autre regret qui reste tabou : celui des femmes qui regrettent la maternité. Elle se base notamment sur l’enquête et le livre d’Orna Donath concernant le regret de certaines mères à être mères. Elle y souligne que « si toutes aiment leurs enfants, ce qu’elles n’aiment pas c’est l’expérience de la maternité, ce qu’elle fait d’elles et de leur vie » (126).

3. L’image négative de la vieille femme

Dans l’imaginaire occidental, la sorcière est bien souvent une vieille femme méchante au nez crochu. Chollet montre dans son 3ème chapitre « L’ivresse des cimes, briser l’image de la vieille peau » comment cet imaginaire de la sorcière a des conséquences néfastes. La vieillesse des femmes est ainsi appréhendée avec préjugés et peurs. Si l’inquiétude peut tourner autour de la fertilité perdue après la ménopause, elle est surtout liée à l’apparence physique.

Au nom d’un certain diktat d’éternelle jeunesse, les femmes se considèrent ou sont rapidement considérées comme étant vieilles, ce qui entraine une volonté de conserver l’apparence de la jeunesse le plus longtemps possible, notamment en cachant les cheveux blancs (qui pourtant peuvent déjà apparaître à la fin de la vingtaine). Au cours de ce chapitre, Chollet livre plusieurs réflexions sur ces cheveux blancs et ce qu’ils disent de notre rapport au corps vieillissant des femmes.

Au travers du prisme d’histoires tirées de la politique, de la littérature et du cinéma, elle explore aussi la différence d’âge dans certains couples et le cas de femmes délaissées à la quarantaine pour une femme plus jeune . Elle se demande s’il n’est pas ici question de pouvoir, comme si certains hommes ne pouvaient aimer qu’une femme qu’ils dominent.

De là, Chollet s’interroge aussi sur le rapport que la société entretient avec l’expérience des femmes. Avec l’âge, les femmes acquièrent une expérience qui est perçue comme menaçante, alors que l’expérience des hommes âgés est vue comme séduisante et rassurante. Pourquoi ? Selon Chollet, à l’époque des chasses aux sorcières, le savoir des femmes était considéré comme dangereux et nous sommes toujours héritiers de ce schéma de pensée. D’ailleurs « la disqualification de l’expérience des femmes représente une perte et une mutilation intense » (158).

Elle considère ensuite le tabou qui règne autour de la sexualité des femmes âgées. Si ce tabou englobe aussi en partie les hommes,1 les femmes en sont davantage les victimes, étant donné que le corps des femmes âgées provoque une certaine répulsion. 

Chollet conclut ce chapitre en citant ce magnifique programme écrit par Susan Sontag en 1972 (!)  :

« Les femmes ont une autre option. Elles peuvent aspirer à être sages, et pas simplement gentilles ; à être compétentes, et pas simplement utiles ; à être fortes, et pas simplement gracieuses ; à avoir de l’ambition pour elles-mêmes, et pas simplement pour elles-mêmes en relation avec des hommes et des enfants. Elles peuvent se laisser vieillir naturellement et sans honte, protestant ainsi activement, en leur désobéissant, contre les conventions nées du « deux poids, deux mesures » de la société par rapport à l’âge. Au lieu d’être des filles, des filles aussi longtemps que possible, qui deviennent ensuite des femmes d’âge moyen humiliées, puis des vieilles femmes obscènes, elles peuvent devenir des femmes beaucoup plus tôt – et rester des adultes actives, en jouissant de la longue carrière érotique dont elles sont capables, bien plus longtemps. Les femmes devraient permettre à leur visage de raconter la vie qu’elles ont vécue. Les femmes devraient dire la vérité. » (176)

Susan Sontag

4. Une nouvelle conception du savoir mise en place 

Le dernier chapitre « Mettre ce monde cul par-dessus tête. Guerre à la nature, guerre aux femmes » ne se focalise pas sur une représentation féminine associée à la sorcière, mais se concentre plutôt sur le rapport au savoir qui a radicalement changé à la Renaissance, période à laquelle ont eu lieu la plupart des chasses aux sorcières. 

Chollet s’interroge d’abord sur son propre rapport à l’intelligence, qui n’est pas une capacité absolue. Elle explique que « la société assigne aux femmes et aux hommes des domaines de compétence très différents, et très différemment valorisés, de sorte que les premières se retrouvent plus souvent en situation d’êtres bêtes » (178). Depuis des siècles, les femmes sont accusées de bêtise et d’incompétence intellectuelle, le tout bien souvent justifié par les défaillances de leur anatomie. Il n’est pas étonnant qu’elles intègrent ce regard sur elles-mêmes.

Dans tous ses écrits, Chollet se bat avec cette notion du culte de la rationalité, qu’elle associe ici avec un rapport au monde conquérant, tapageur, agressif. Une vision du monde qui sépare corps et esprit, raison et émotion. C’est via l’histoire de la chasse aux sorcières qu’elle tente de réconcilier cette critique avec le féminisme, sans pour autant tomber dans les travers d’un essentialisme. 

Pour ce faire, Chollet montre le changement de vision du monde qui s’est opéré à la Renaissance. D’un monde vu comme un organisme vivant, comme une figure maternelle et nourricière, nous sommes passés à un monde vu comme mort, inerte, une matière passive qu’il faut conquérir, le modèle de la machine, de l’horloge. Comme le dit Carolyn Merchant : « Ayant cessé d’être perçu comme un giron nourricier, la nature devient une force désordonnée et sauvage qu’il s’agit de dompter. Et il en va de même des femmes » (191). Dans cette nouvelle vision du monde, la femme et la nature sont perçues comme la cause du désordre et doivent être placées sous contrôle. Chollet étaye cette hypothèse de nombreux exemples tirés de la littérature et du cinéma.

Une partie conséquente de son chapitre se penche sur le rapport au savoir tel qu’exercé dans la médecine, et en particulier dans l’obstétrique. Son regard sur l’histoire de la discipline (qui a écarté les femmes-guérisseuses), sur la vision de la femme véhiculée au travers des siècles et sur les violences obstétricales dont on commence à parler (depuis 2017) illustre ce ‘nouveau’ rapport au monde. 

Elle réfléchit également dans ce dernier chapitre aux apports de l’écoféminisme qui envisage deux libérations à la fois, celle de la femme et celle de la nature. Chollet souhaite que l’ordre symbolique établi – où le détachement et l’objectivité règnent – soit remis en question. Car après tout et c’est avec cette réflexion qu’elle clôture son essai, le monde comme il est ne lui convient pas. Il est temps de remettre ce monde sens dessus dessous et de suivre les chuchotements des sorcières qui parviennent jusqu’à nous.

Un livre passionnant qui ouvre le débat, qui permet de poser certaines questions encore bien souvent taboues dans notre société. Un essai qui nous invite à examiner nos préjugés, nos préconceptions à la lumière de ce pan de l’histoire oublié des chasses aux sorcières. Une histoire qui nous a façonnés bien plus que nous l’imaginons, une histoire qui continue de vivre dans notre imaginaire collectif. Sorcières, la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet est une véritable pépite à découvrir et qui se laisse lire comme un roman. 

Et finalement, est-ce si mal que cela d’être une sorcière ?

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  1. Le débat sur la sexualité des plus âgés était justement le sujet du dossier de Tertio du 3 mars 2021: « Aandacht voor seksualiteit bij ouderen is deel van holistische zorg »

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Tags: Féminisme, Sorcières

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