Crise d’adolescence
On 14 mars 2024 by Marie« C’est une crise d’adolescence que je vais vous raconter … Ou une crise d’identité et cela va souvent ensemble… l’adolescence c’est le temps du passage de l’enfance à la maturité, temps où tout à coup notre horizon s’élargit, temps d’expérimentation et de découvertes, temps parfois fait de rupture au moins temporaire avec tout ce que nos parents ont essayé de nous inculquer… Qui n’a pas été désespéré devant son enfant devenu tout à coup récalcitrant et contestataire !!!?? Temps aussi des questionnements existentiels « d’où je viens ? où je vais ? Qu’est-ce que je fais sur terre ? »
Et puis, ne sommes-nous pas tous « des grandissants » comme les appelle Marion Muller-Colard, toujours en questionnement, toujours en chemin ? « Il n’y a pas d’âge pour grandir ! » dit-elle dans la dédicace de son livre « Les grandissants ».
Mettons-nous donc tous à l’écoute de ce récit… »
Odile Datcharry
C’est avec ces mots qu’Odile Datcharry nous introduit dans une réécriture du récit de Luc 2.41-52 à la suite d’un Jésus adolescent… Un tout grand merci à Odile d’avoir d’avoir accepté de partager ici son texte riche et stimulant. Je vous laisse découvrir !
Vous pouvez écouter Odile lire son texte en cliquant sur le fichier son ci-dessous :
« L’heure était grave. Nous étions remontés à Jérusalem avec mes amis et je savais que les chefs du peuple avaient hourdi un complot contre moi. Leur haine se déchainait et ils avaient décidé de ma mort. Je ne comptais pas trop sur les romains pour me défendre… et parfois la peur s’insinuait, je me demandais comment j’allais trouver la force de vivre tout cela. C’est alors qu’un épisode clef de mon adolescence m’a traversé l’esprit. Je me revoyais sur le parvis du Temple au milieu des docteurs de la loi, ceux -là même qui voulaient me faire mourir mais qui, à l’époque m’écoutaient avec étonnement. Je ne comprenais pas comment leur cœur et leur intelligence s’étaient fermés à la Parole que je portais au point d’orchestrer ma mort… la peur de perdre leur pouvoir surement mais pas seulement peut-être aussi la peur de sortir des chemins tout tracés de leur religion, de leur système de pensée, de leurs traditions !
Mais revenons sur les circonstances…
Mes parents étaient des gens très pieux, ils respectaient les lois, les rites, les traditions de notre religion. Ils m’avaient élevé dans ce même respect. Ils prenaient un soin particulier à mon éducation de premier-né. Depuis ma tendre enfance mon père, au coucher, me racontait l’histoire de notre peuple. Ma mère aussi s’appliquait à faire de moi un bon juif car elle savait depuis ma naissance qu’un destin particulier m’attendait au sein du peuple et elle n’y réussissait pas trop mal… dans le village, on disait de moi, malgré le fait de ma naissance un peu douteuse, que je grandissais en sagesse et en grâce !
J’avais douze ans et comme les copains et les cousins selon nos coutumes je venais de fêter avec enthousiasme ma Bar Mitzva (qui veut dire littéralement « fils de la loi »). J’étais devenu un « fils de la loi » ! Je l’attendais ce moment ! J’étais enfin entré dans le monde des adultes, des initiés, autorisé à entrer à la synagogue, non plus avec ma mère du côté des femmes mais avec mon père, et il m’était arrivé une ou deux fois de lire dans le rouleau de la Thora non sans fierté… pourtant, bien que j’aie fréquenté assidument l’école de la synagogue il me restait encore bien des choses à apprendre sur l’histoire de mon peuple et surtout sur YAWEH, notre Dieu.
Cette année-là mes parents avaient décidé de m’emmener avec eux à Jérusalem pour le grand pèlerinage de la fête de Pessah, ils y allaient tous les ans… un bon juif ne pouvait pas manquer cela et puis j’en avais l’âge maintenant ! Cette perspective m’enthousiasmait…
Je venais de quitter l’enfance et voilà que j’allais maintenant quitter mon village pour monter dans la grande ville comme je l’avais rêvé tant de fois. J’allais découvrir le Temple fierté de mon peuple et peut-être rencontrer YAWEH puisque ce temple était sa maison, c’est ce que j’avais appris depuis longtemps…
Le jour du départ approchait et un soir ma mère s’est mise à préparer les maigres bagages que nous allions emporter pour notre voyage, une outre d’eau bien sûr, nous allions marcher sous un soleil de plomb, du pain, des olives et des figues pour les arrêts « casse-croute » et puis quelques nattes et couvertures pour les nuits froides que nous allions passer à la belle-étoile !
Le lendemain au petit matin, nous nous sommes donc mis en route avec quelques voisins et cousins aussi excités que moi… un long périple de Nazareth à Jérusalem (120 km à travers les collines) pour un garçon de 12 ans c’était beaucoup, mais mon enthousiasme me portait et j’en oubliais la fatigue de mes jambes !
Quand quelques jours plus tard, nous sommes arrivés aux abords de la ville, j’ai été ébloui par la grandeur de la muraille et la vision du temple qui dominait. Un flot de pèlerins comme nous se dirigeait vers la porte gardée par les romains… ma mère m’a agrippé le bras de peur de me perdre dans la foule…dans Jérusalem, les ruelles étaient étroites, entrelacées et surtout encombrées, de pèlerins mais aussi de marchands… un vrai souk plein de couleurs et de senteurs dans lequel il fallait se frayer un chemin !
La fête durait presqu’une semaine. Nous avons donc trouvé une chambre chez l’habitant et après y avoir déposer notre balluchon, nous nous sommes mis en quête de nourriture (nos réserves étaient épuisées !), mais aussi des mets qui nous serviraient à préparer le seder, le plat du repas de Pâque et surtout l’agneau que nous irions porter au Temple pour le sacrifice. Semaine de fête avec ceux qui nous accompagnaient. Semaine de joie car c’était bien notre libération de l’esclavage que nous fêtions comme chaque année à cette même période comme le prophète Moïse l’avait enseigné à nos pères ! (Ex 12 :17)
Mais ce qui m’a marqué le plus c’est la montée au Temple, nous avons gravi les marches jusqu’aux parvis et traverser les cours et je suis allé avec mon père seul jusqu’au lieu où se trouvent les docteurs de la loi et les prêtres dont je vous parlais tout à l’heure. Je n’en croyais pas mes yeux ni mes oreilles ! Ils étaient en petits groupes et discutaient à bâtons rompus. Alors que mon père rejoignait ma mère pour vaquer à l’accomplissement des rites je me suis échappé discrètement pour m’approcher d’eux et les écouter. C’était vraiment des érudits, ils semblaient connaître le moindre détail de la loi. Quel bonheur de les entendre débattre ainsi… petit à petit je me suis inséré dans leur conversation pour leur poser des questions- j’avais soif de connaître la Parole- et à l’occasion je leur donnais mon avis.
Je m’attendais à me faire rabrouer, moi un petit gamin de 12 ans face à eux… mais à mon grand étonnement, comme je vous l’ai dit tout à l’heure ils ont accueilli mes questions avec bienveillance, avec curiosité même. J’ai même eu l’impression que mes interrogations et mes réflexions leur posaient questions, les interpellaient.
Moi je me régalais de tout ce savoir qu’ils me transmettaient et plus les heures passaient plus je me sentais chez moi dans la Maison de YAWEH. Ma vie et ma foi semblaient prendre une tout autre dimension… je n’étais plus seulement « fils de la loi » … Mais ce Dieu dont on m’avait parlé, en qui j’avais foi, devenait mon père ! Plus rien désormais ne serait pareil…
Je n’ai pas vu pas le temps passé… Pendant ce temps mes parents avaient repris la route me croyant en compagnie de mes camarades. Quand ils ont constaté mon absence ils se sont mis à me chercher parmi nos compagnons de route affrontant les regards jugeant de certains… vous imaginez ce que l’on disait derrière leur dos : « franchement quels parents oublient leur enfant dans une ville !! ». Ils n’ont pas eu d’autre choix que de revenir à Jérusalem, de sillonner les rues -ils ne savaient pas trop où me chercher… – pour enfin m’apercevoir sur le parvis du Temple… Ce sont leurs cris inquiets qui m’ont ramené à la réalité. « Qu’est-ce-que tu fais là, on te cherche depuis 3 jours ! pourquoi n’as-tu pas repris la route avec nous ? On était fous d’inquiétude ton père et moi ! On ne fait pas ça à ses parents !»
Ils n’ont pas vraiment compris quand je leur ai répondu « Pourquoi m’avez-vous cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je m’occupe des affaires de mon Père ? » Pour eux c’était peut-être un peu gros, ils étaient quand même mes parents !!! Difficile de concevoir que je devais me détacher d’eux, m’émanciper pour suivre mon propre chemin, pour entrer dans une relation avec mon Père d’En-Haut. Laisser s’envoler les enfants… c’est dur pour des parents… les miens ne dérogeaient pas à la règle ! Pourtant ils auraient dû savoir… bien sûr les années avaient passé mais l’ange Gabriel ne leur avait-il pas dit que je serais appelé Fils du Très-Haut ? En y réfléchissant, s’ils ont mis du temps à me trouver c’est qu’ils ne me cherchaient pas au bon endroit !
Mais, ce n’était pas le moment de s’appesantir… « Allez, oust on repart » a dit mon père, en me tapant sur l’épaule… « mon travail m’attend à Nazareth et tu pourras me donner un bon coup de main pour rattraper le temps perdu ! »
« Ah que je les aime mes parents » pensais-je tout bas en reprenant la route avec eux.
Malgré tout on a continué à dire de moi au village que je grandissais et progressais en sagesse plaisant à la fois aux hommes et à Dieu. Même si pour certains je n’avais pas été un modèle de sagesse. Les commères avait pris un malin plaisir à raconter autour du puits que le petit Jésus, si obéissant, avait faussé compagnie à ses parents !!! Moi, je ne la regrettais pas cette désobéissance, j’avais suivi mon coeur… et elle m’avait fait grandir !
Ce que j’ai ressenti ces jours-là au Temple, a pris toute sa dimension lorsque quelques années plus tard, dans mon désir d’être solidaire avec mon peuple j’ai rejoint mon cousin Jean au Jourdain pour y être baptisé. C’est là que j’ai entendu résonner en moi la parole de mon Père, cette parole qui est venu confirmer ma filiation. Je l’entends encore : « Tu es mon fils bien-aimé, en toi j’ai mis toute ma joie ! ».
Je crois que c’est cela, cette parole, cette certitude d’être le Fils aimé du Père qui m’a donné la force de vivre pleinement ma mission, d’aller jusqu’au bout, de proclamer jusqu’à en mourir la force de l’amour face à la haine, la puissance de la grâce qui fait de nous non plus des fils de la loi mais des fils du Père, libres d’avancer et de grandir ! »
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