Voyages intérieurs : deux romanciers à découvrir
On 6 août 2021 by MarieL’été est là et le rythme change à la maison. Les temps d’écriture sont limités, et la vie quotidienne en famille bien remplie. Je reprends brièvement la plume en cette période estivale pour vous partager quelques coups de coeur lecture des derniers mois. Ma liste était plus longue, mais par manque de temps, je me limite à vous présenter des livres de deux auteurs contemporains très différents. La suite attendra…
- Marilynne Robinson, Gilead (2004) – FR : Gilead (2007) / Home (2008) – FR : Chez nous (2009) / Lila (2014) – FR : Lila (2015) / Jack (2020)
A l’occasion de la parution de Jack en septembre dernier, j’ai saisi l’opportunité de me replonger dans les tomes précédents de cette trilogie devenue quadrilogie. Le premier tome de cette série a reçu le prix Pulitzer pour la fiction en 2005. En 2012, Marilynne Robinson a reçu une récompense pour son œuvre, la National Humanities Medal.
Sous la prose lyrique de Robinson, nous sommes transportés dans l’Amérique des années 1950.
Gilead est un roman épistolaire où le narrateur John Ames, un vieux pasteur d’une petite ville de l’Iowa, écrit à son fils de 6 ans, né d’un second mariage tardif. Il souhaite ainsi lui transmettre un héritage, son histoire. Dans ses écrits, son présent se mêle à ses souvenirs et dépeint sa vie en apparence banale, lui qui n’a quasiment jamais quitté sa ville. Il y décrit ses erreurs, ses doutes, ses peurs, ses joies, ses deuils. La relation père-fils est omniprésente dans ce roman et va au-delà de la relation entre Ames et son fils pour inclure sa propre relation avec son père et celle de ce dernier avec son grand-père.
Nous sommes également introduits dans la famille de Robert Boughton, l’ami de toujours d’Ames. Boughton est le pasteur d’une église d’une autre dénomination. Leurs discussions sur la prédestination durent depuis des années et colorent le livre. Au moment où il écrit ses mémoires, John Ames est le témoin du retour de Jack – John Ames Boughton –, le fils prodigue de Boughton et son propre filleul. Jack revient à la maison après des années sans donner signe de vie. La façon dont les personnages vivent leur foi, leurs croyances est également un thème qui traverse cette série, sans jamais tomber dans un moralisme.
Ecrit à la troisième personne, le deuxième tome Home se déroule à la même époque que Gilead. Il nous donne un aperçu de la vie chez les Boughton, au travers des yeux de Gloria, la plus jeune des filles. Après plusieurs déceptions professionnelles et amoureuses, elle revient à Gilead pour soigner son père vieillissant. Quelques temps après, Jack revient également (l’évènement dont il était question dans Gilead).
Les relations entre les différents membres de la famille, les rêves manqués, les idéaux non atteints, les tolérances religieuses, les difficultés de chaque vie – dont on peut parler ou pas, sont dévoilées avec pudeur. Le récit revient également sur plusieurs épisodes mentionnés dans le tome précédent. Le lecteur peut alors recouper les informations, percevoir les nuances qui échappent aux personnages, montrant les limites de compréhension de chacun et les points de vue différents pour la même réalité. Un roman qui traite de la vie familiale, de ses relations et de ses secrets.
Lila retrace la vie de Lila, la jeune épouse de John Ames. Situé quelques années avant les deux autres tomes, alors qu’elle est enceinte de leur fils et en proie à de nombreux doutes, l’histoire retrace son enfance et adolescence vagabonde sur les routes des Etats-Unis. Ses origines peu claires, son passage dans une ‘maison de joie’, ses errances et son manque de repères identitaires avant d’arriver à Gilead sont racontés. En apparence, rien dans son histoire ne la préparait à devenir l’épouse d’un pasteur âgé. Elle rencontre John Ames alors qu’elle cherche refuge dans l’église par temps de pluie. Son point de vue sur les évènements qui ont mené à leur mariage et à la naissance de leur fils diffèrent légèrement de ce qu’Ames raconte à son fils des années plus tard. Là encore, les doutes, les peurs, les questions de foi, les vies intérieures turbulentes se cachent derrière des façades. Avec en arrière-plan cette question : est-il seulement possible de changer de vie ?
Le dernier tome paru, Jack, commence également quelques années auparavant. Dans une chronologie pas toujours évidente à cerner – mais est-ce réellement important ? – l’histoire retrace la vie d’errance du fils prodigue, sa recherche d’un monde meilleur, plus juste, mais également ses incapacités à faire face à tout cela ainsi que ses luttes face à l’héritage religieux de son père. Il est accablé par le décalage entre son image et ce qu’il perçoit être son identité. Le récit nous amène à St-Louis où une histoire d’amour impossible se développe entre un homme blanc et une femme noire à l’heure où les mariages inter-raciaux sont interdits par la loi. Cette question inter-raciale ainsi que les discriminations qui en découlent dans la société américaine sont en filigrane depuis le tome un, de façon discrète et d’autant plus perturbante. Elles ne sont pas toujours visibles ou considérées comme importantes pour tous les personnages.
Au travers de ces romans, c’est une partie de l’histoire des Etats-Unis qui se dévoile, dans toute sa complexité, dans toutes ses difficultés. Non au travers d’évènements fracassants, mais au travers de vies de personnes ‘normales’, brisées, dans le silence de leurs existences.
Cette ‘série’ de livres est par moment exigeante, mais toujours stimulante. Ils montrent comment les profondeurs humaines ne sont jamais simples et nettes, mais remplies de nuances, de détours. Que l’on parte loin ou reste dans la même petite ville toute notre vie, la vie n’en demeure pas moins complexe, riche, subtile. Nos vies intérieures sont parfois bien cachées derrière des apparences trompeuses. Qui peut seulement connaître les motivations de chacun ? Une série à découvrir, à lire et à relire. Des livres qui se savourent petit à petit.
- Matt Haig, The Midnight Library (2021) / Reasons to Stay Alive (2014) – Rester en vie (2016)
Dans un tout autre style, j’ai découvert cette année l’auteur britannique Matt Haig. Son dernier roman, The Midnight Library (malheureusement pas encore traduit en français) est un livre à la construction simple, aux chapitres courts et à la lecture fluide, dont l’histoire reste en tête longtemps après l’avoir refermé. Il raconte l’histoire de Nora Seed, une jeune femme qui au début du roman décide de mettre fin à sa vie. Son existence lui semble de plus en plus sombre. Les premiers mots du livre « Nineteen years before she decided to die, Nora Seed… » (« Dix-neuf ans avant qu’elle ne décide de mourir, Nora Seed… ») sont répétés dans les huit premiers chapitres du livre, avec les années/heures qui varient et n’annoncent rien de bon.
Alors que son dernier espoir semble être dans la mort et qu’elle ne croit plus à une vie meilleure, elle se retrouve dans un étrange bâtiment qui s’avère être une bibliothèque dont elle est la seule lectrice. Son ancienne bibliothécaire d’école est la seule autre personne présente. La bibliothèque de minuit comprend le Livre des regrets de sa propre vie ainsi qu’une multitude de ses vies parallèles, qu’elle peut alors visiter. Si elle n’avait pas fait ce choix, si elle avait pris cette décision plutôt qu’une autre, ou serait-elle maintenant ? Quelle vie vivrait-elle ? Décidera-t-elle de rester dans une de ses vies parallèles ? Pourrait-elle revenir dans sa propre vie ?
Un roman agréable à lire qui parle de nos choix et de la façon dont nous assumons – ou pas – nos vies. Ce livre considère ainsi la portée de tant de gestes en apparence anodins. Il soulève la question de la dépression et du mal-être, le tout entouré de nombreuses considérations philosophiques. Ce n’est d’ailleurs pas le premier livre de Matt Haig qui traite de cette question. Malgré le sujet qui semble lourd de prime abord, Haig aborde ces thèmes avec une lueur d’espoir en nous invitant à considérer nos vies, à repenser à nos propres choix et en nous invitant à laisser de côté nos regrets.
Je viens également de lire son livre auto-biographique Rester en vie (Reasons to Stay Alive) où il partage ses expériences d’anxiété et de dépression. Alors qu’il avait 24 ans, il est terrassé par une dépression. Il prendra des mois (années?) pour s’en relever. Dans ce livre entre roman autobiographique, témoignage, livre de développement personnel ou encore recueil de pensées, Haig revisite ces moments et ces années écoulées, montrant comment il a appris à revivre après cette expérience difficile. Un livre en apparence sombre néanmoins rempli de clarté et d’espoir. Structuré en chapitres très courts, qui donnent cette impression de lecture fluide que l’on retrouve également dans The Midnight Library, le livre est composé de quatre parties aux titres évocateurs : Falling (Tomber), Landing (Atterrir), Rising (S’élever), Living (Vivre) et Being (Etre). Il nous amène dans un voyage dans les recoins de notre cerveau, du désespoir à l’espoir.
Partant de sa propre expérience, qui comme il le dit était unique, mais en même temps similaire à tant d’autres, il propose une réflexion sur la dépression et l’anxiété : en quoi consiste cette maladie, les effets et conséquences, ce qui l’a aidé à différents moments, ce qu’il a appris, ses stratégies pour vivre. Un livre encourageant malgré tout qui nous rappelle que même les choses les plus sombres ne sont pas éternelles. Matt Haig nous propose ici une ode à la vie qui nous amène à considérer la dépression autrement. Il nous invite également à nous poser et à réfléchir à comment nous vivons nos vies.
Marylinne Robinson et Matt Haig : deux auteurs aux styles et aux sujets très différents que j’ai particulièrement appréciés et que je vous recommande !
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