Ruth : un joyau à découvrir (3/5)
On 24 février 2021 by MarieVous pouvez écouter la version audio ici:
Plus on lit ce texte, plus la structure saute aux yeux et plus on se régale. L’auteur emploie avec virtuosité les outils narratifs à sa disposition, typiques de la littérature hébraïque.
Des structures chiastiques, des parallélismes ? En veux-tu, en voilà ! Tant dans la macro-structure du livre que dans les scènes individuelles.
Le texte est également concret et concis laissant place aux ellipses et à l’ambiguïté, autre particularité du récit biblique.
- Comme quand le narrateur omniscient insinue que c’est par chance que Ruth se trouve dans le champ de Boaz (Ruth 2:3), ainsi l’auteur semble intégrer dans son texte des ambiguïtés, des incertitudes langagières. Pourtant rien ne semble être vraiment dû au hasard. Bien souvent ces hésitations ne sont que le reflet de l’histoire même.
- Quand Ruth revient des champs après une première journée de glanage, Noémie voit tout ce qu’elle a pu glaner et s’émerveille devant la générosité de celui qui l’a accueillie. Apprenant que Boaz est le bienfaiteur, elle s’exclame : « Béni soit-il du Seigneur, celui qui n’abandonne sa fidélité ni envers les vivants ni envers les morts » (Ruth 2:20). La phrase est et reste ambiguë : est-ce Boaz ou le Seigneur qui n’abandonne pas sa fidélité ? Cette ambivalence nourrit le texte et l’intrigue. Le secours viendra-t-il de Dieu, de cet homme ou peut-être des deux à la fois ?
Et l’auteur ne s’arrête pas là. Il ou elle maitrise l’emploi des analogies et des répétitions. Chez Ruth, il y a cette saveur des répétions. Pas toujours visibles dans nos traductions, qui par style cherchent à varier le vocabulaire, les répétitions de mots sont fréquentes et guident le lecteur au cœur de l’intrigue.
- Ruth, par exemple, est constamment associée à la terre, aux champs – que ce soit ceux de Moab ou de Bethléem. Ce n’est pas juste une étrangère sans ancrage, au contraire, elle habite pleinement le réel de l’histoire ; son sort semble même lié à un lopin de terre.1
- Autre exemple, le premier chapitre utilise douze fois la racine du mot ‘shouv’ (retourner), insistant sur ce retour (qui n’en est pourtant pas un pour Ruth) comme étant essentiel pour le reste de l’histoire, plus que l’exil qui ne sert que de cadre au récit.
- Le narrateur joue également avec le chiffre deux, mettant en exergue à la fin du premier chapitre ce couple de femme inattendu, vulnérable et surprenant.
Il y a aussi ces phrases, ces structures qui se répètent à la fois dans le texte même et dans d’autres récits de la Bible. Ces tournures de phrase tiennent en haleine le lecteur versé dans la Torah, le font frémir à l’idée de ce qu’il pourrait bien se passer, l’avertissent du danger, mais aussi le surprennent par la tournure des évènements et le poussent à se remettre en question.
Ainsi quand le narrateur commence son récit en expliquant qu’il y a une famine dans le pays, provoquant par là-même le départ d’un homme et de sa famille vers le pays de Moab, le lecteur s’inquiète. N’est-ce pas la même phrase utilisée en Genèse 12:10 et 26:1 ? Qu’est-donc en train de faire cet homme qui, comme Abraham et son fils Isaac, s’exile loin du Pays Promis en temps de famine ? Si les patriarches ont pris le chemin de l’Egypte avec toutes les conséquences que l’on connait, la destination choisie par Elimelech – dont le nom signifie ‘Dieu est mon roi’ – ne semble pas plus judicieuse. Pourquoi donc aller chercher du pain au pays de Moab, ce pays même qui a refusé de nourrir les Israélites à leur sortie d’Egypte (Dt 23:3-6)?
Non, non, non, ces premières phrases n’augurent rien de bon. Que va-t-il donc bien pouvoir se passer ?
A suivre…
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