Ruth 1 (5/5) : La plainte
On 3 juin 2021 by MarieAprès le départ de Nuque, Ma-Gracieuse et Amie continuent leur chemin en silence. Vous pouvez écouter le dernier épisode de cette série ci-dessous:
« Ne vous inquiétez pas, je sais qu’il se fait tard et que notre marche nous a bien fatigués ; j’arrive tout doucement à la fin de mon récit… Allons voir ce qu’il se passe du côté de Bethléem ! »
« Aux abords de Bethléem, de nombreux habitants et habitantes travaillent dans les champs. L’orge, qui avait manqué cruellement pendant si longtemps, était enfin prêt à être récolté. La moisson s’annonçait particulièrement bonne cette année. Le sourire aux lèvres malgré la chaleur et le dur labeur, les hommes fauchaient d’un côté, aidés par quelques femmes.
« En puisant de l’eau au puits pour rafraichir les travailleurs, Rachel voit au loin deux taches sombres qui se dirigent vers la ville. Le soleil éblouissant l’empêche de bien les distinguer, mais ce sont des voyageurs ; ils portent des sacs ainsi que la tunique du voyageur, aidés d’un bâton de marche. Leur démarche et la lourdeur de leurs pas semblentindiquer que cela fait plusieurs jours qu’ils sont sur la route. Qui peut bien voyager ici en ce début de moisson alors que le travail ne manque pas ? Ils… mais on dirait des femmes, est-ce possible ?
– ‘Qu’est-ce que tu regardes Rachel ?’ demande Judith en scrutant l’horizon.
« Et puis soudainement,
– ‘Mais… mais… on dirait…, non ce n’est pas possible ! Salomé, viens voir. Est-ce que ce ne serait pas… ?’
– ‘Ma parole, mais c’est Ma-Gracieuse ! Mais oui, on dirait bien que c’est elle ! Cette démarche, qui pourrait l’oublier ? Et puis ce visage…’ ajoute Salomé, alors que les deux femmes s’approchent de la ville. ‘Rachel, va chercher nos mères et les autres femmes. Dis-leur vite que Ma-Gracieuse est de retour.’
« Toutes les femmes ont maintenant interrompu leur travail et regardent les deux voyageuses approcher d’elles. Les hommes également commencent à se demander ce qu’il se passe quand les autres femmes arrivent à grands pas. Toute la ville est en ébullition.
– ‘Oui c’est bien elle ! Incroyable… ! Après toutes ces années ! Qui est donc cette jeune femme qui l’accompagne ?’
« Les plus jeunes tentent de voir celle qu’elles ont à peine connue, les plus âgées, prennent de l’eau et vont à sa rencontre.
– ‘Est-ce bien toi, Ma-Gracieuse ?’ demandent-elles, en servant de l’eau aux femmes, épuisées par leur voyage.
– ‘Oh ne m’appelez pas Ma-Gracieuse !’ répond la plus âgée des deux
‘Appelez-moi l’Amère Car le Tout-Puissant m’a rendue amère à l’extrême C’est comblée que je suis partie mais c’est démunie que l’Eternel me fait revenir Pourquoi m’appelez-vous Ma-Gracieuse alors que l’Eternel a témoigné contre moi et que le Tout-Puissant m’a fait du mal ?’
« Dans la communauté où elle a grandi et vécu et face à ses anciennes voisines, Ma-Gracieuse-l’Amère explose là dans les champs de Bethléem. Là, dans sa propre contrée, là où son Dieu est connu et adoré, elle peut enfin dire à voix haute ce qui la ronge depuis si longtemps. Comme Job qui a tout perdu, elle aussi se sent abandonnée du Tout-Puissant. Toute l’amertume accumulée – elle n’oserait quand même pas se mettre en colère contre son Dieu – éclate à la vue de ses anciennes voisines. Elle est fatiguée par cette décennie écoulée, par ce chemin périlleux et épuisant, par toutes ces émotions. Elle laisse résonner sa tristesse, son amertume, son impression de vide et d’abandon. De retour dans sa contrée, elle nomme enfin son désarroi.
« Le voyage s’arrête là. La nuit va bientôt tomber. Les femmes de la ville s’organisent rapidement pour trouver un toit à Ma-Gracieuse-l’Amère qui est revenue de Moab avec Amie la Moabite, sa belle-fille. Demain, il sera encore temps de parler. Ce soir, il leur faut un toit et du repos. Des voisines s’arrangent pour leur partager un peu de leur soupe aux lentilles du soir, accompagnée de pain. »
La vieille dame soupire en se basculant doucement, les yeux fixés sur le feu qui s’éteint.
– « Et voilà mes enfants, la boucle est bouclée. Ma-Gracieuse-l’Amère est de retour à Bethléem seule, avec Amie. Quel retournement de situation !
Je vous le disais, une histoire de foyers et de longues marches, bien plus fatigantes que celle que nous avons joyeusement entreprise aujourd’hui…
L’histoire de l’exil de Mon-Dieu-est-roi et sa famille est maintenant clôturée. Ce n’était pas une réussite. Ma-Gracieuseest de retour, plus vide et plus amère. Je ne vous avais pas promis une histoire réjouissante. Elles ne le sont pas toutes, malheureusement. Mais même les tragédies nous travaillent.
Ceci dit, cette fois-ci, la fin annonce aussi un début, le début de la moisson de l’orge. Qui sait, elles pourront peut-êtreencore vivre un peu ? Mais, ce n’est pas moi qui vous raconterai la suite maintenant. Imaginez-là… Et puis là, il se fait tard. Allons dormir et laissons Ma-Gracieuse-l’Amère et Amie elles aussi se reposer. Demain est un autre jour ! »
J’aime beaucoup la façon dont tu as raconté l’histoire de Naomi , qui la rend poignante, très actuelle .
Cela me fait penser aux migrants dans leur longue marche vers un hypothétique lieu d’accueil . Eux aussi sont fatigués, amers .
Mais Naomi – Mara rentre chez elle. Déjà les habitants l’accueillent. C’est très beau.
Merci , Marie pour ce beau récit .
Merci Thérèse pour ton retour! Contente que cela te parle et permette de rendre l’histoire encore plus vivante, plus actuelle.