Deux réécritures bibliques à découvrir
On 3 février 2022 by MarieIl me démangeait de les lire. Dans ma (longue) liste de lecture se trouvaient ces deux romans. Il y est question d’histoires bibliques, de voix féminines mises en avant, de réécritures. Il n’en faut pas beaucoup plus pour attiser ma curiosité. Ajoutez à cela que j’avais déjà travaillé sur l’un des auteurs, et vous comprendrez que j’étais impatiente de lire ces ouvrages.
Pendant les vacances d’hiver, j’ai enfin trouvé le temps de dévorer ces deux livres. Écrits en anglais, ces livres ne sont à ma connaissance malheureusement pas traduits en français. Mais je voulais néanmoins partager avec vous ces lectures captivantes.
Jeet Thayil, Names of the Women, 2021
Poète et auteur indien, Jeet Thayil offre ici une réécriture féministe des récits des évangiles. Le point de départ de ce roman est l’idée selon laquelle les femmes ont été effacées des textes bibliques, les auteurs canoniques n’ayant gardé qu’une infime trace de leur présence. Le point de vue des femmes a ainsi été réduit au silence, effaçant par là même le nom de certaines protagonistes, pourtant témoins des évènements autour de la mort et résurrection du Christ.
Le livre est composé de chapitres reprenant l’histoire de l’une ou l’autre femme des évangiles et leur donnant une place et un nom dans le récit. Ces chapitres sont entrecoupés par de brefs monologues de Jésus sur la croix s’adressant à Marie de Magdala et donnant lui aussi une version altérée de ce que rapportent les évangiles.
Comme s’il avançait à reculons, pour dévoiler petit à petit ces femmes oubliées, Thayil part de Marie de Magdala au pied de la croix et voyage de plus en plus dans le passé de ce Jésus maintenant cloué sur une croix. Parmi toutes ces femmes réhabilitées, on retrouve entre autres Marie de Magdala, Susanne, Marthe, Marie, Lydia et Assia, les sœurs de Jésus, Shosamma, la femme du bon larron et bien d’autres encore pour finir avec Marie, la mère de Jésus.
Bien écrit et fluide, la contextualisation et la mise en scène de certains récits connus et moins bien connus nous transportent dans l’Israël du 1er siècle et nous réserve quelques surprises. On retrouve ainsi la femme adultère forcée de se prostituer pour subvenir aux besoins de sa famille, prise en flagrant délit. La version apportée par la servante dans la cours du prétoire la nuit de l’arrestation de Jésus apporte un regard nouveau sur une histoire bien connue. D’autres scènes, comme celles où il est question de la décapitation de Jean vu au travers des yeux d’Hérodias, de Salomé ou encore d’une servante, femme de l’intendant, montrent toute la cruauté, la violence et l’horreur de la situation.
Si les portraits féminins sont dans l’ensemble prenants, j’ai été moins convaincue par les personnages masculins dont celui de Jésus. L’écart entre l’image véhiculée dans les évangiles et l’image représentée dans le roman de Thayil était trop grande pour que j’arrive à entrer dans la dynamique du roman. Ses propos à Marie de Magdala et ses attitudes – dont beaucoup sont inspirés des évangiles apocryphes – amenaient un décalage trop important pour moi pour être crédible. Ceci dit, l’utilisation des récits apocryphes, avec lesquelles je suis peu familière, apporte également une autre vision. L’autorité et la canonicité des récits bibliques est ainsi questionnée.
Dans le genre de fiction néotestamentaire, le livre de Thayil apporte énormément au niveau de la contextualisation des personnages et de l’atmosphère qui pouvait exister face aux récits extraordinaires de la mort et résurrection de Jésus. J’ai trouvé ce roman stimulant à de nombreux égards, mais plutôt inégal. Certains chapitres sont en effet plus convaincants que d’autres. Il vaut néanmoins la peine d’être lu pour l’atmosphère qu’il dégage ainsi que pour la réflexion qu’il stimule sur ces femmes présentées comme étant marginales, mais ayant néanmoins joué un rôle central dans cette histoire fondatrice du christianisme.
Michael Arditti, The Anointed, 2020
Si j’ai quelques réservations à propos du livre de Thayil, le roman d’Arditti ne m’a pas déçue. Ayant travaillé sur son roman Easter (2000) – soi-dit en passant un excellent livre qui aborde entre autres la question de l’homosexualité dans l’église anglicane avec sensibilité – j’étais familière avec certains thèmes de prédilection d’Arditti, à savoir la relation entre le pouvoir, la sexualité et la foi. Je me souvenais également de sa construction littéraire presque scénique et de son style fluide et prenant. Je me réjouissais donc de découvrir son dernier roman The Anointed, qui s’annonçait à bien des égards différent de Easter et de ses autres livres.
The Anointed est une réécriture contemporaine de l’histoire du roi David, dont le récit est raconté dans l’Ancien Testament. Arditti mentionne en avant-propos que s’il se base essentiellement sur le texte de 1 et 2 Samuel, il fictionnalise bien entendu sa source et n’hésite pas à ajouter certains éléments de temps à autre là où il perçoit des paradoxes. Nous sommes donc bien face à une réécriture fictive d’un des grands récits de l’histoire d’Israël.
Le portrait de David est tracé dans ce livre par le biais de trois de ses épouses, Michal, Abigail et Bathshéba. Chacune d’elle est la narratrice de plusieurs chapitres, donnant ainsi à voir un portrait pluriel du roi David, de ses ambiguïtés, de ses difficultés, de ses luttes tout au long de sa vie. Le récit commence à la cours du roi Saül, père de Michal et de Jonathan pour se terminer avec l’intronisation du roi Salomon. La version des femmes présente en quelque sorte l’envers du décors du récit biblique. La vision de ces femmes qui se partagent le même homme, leurs incompréhensions, leurs attentes, leurs joies, mais aussi de plus en plus leurs déceptions sont mises en avant. C’est un regard intime qui est ainsi porté sur le roi David.
Pris dans le récit, on perçoit sous un jour nouveau l’horreur de certains récits. Ainsi l’épisode où David fait tuer sept descendants du Roi Saül pour contrer une sécheresse, sous ordre de Dieu donne froid dans le dos. Toute l’horreur de la situation et notamment l’attitude de Rizpah, concubine de Saül, qui va protéger les corps pendus pendant deux mois est présentée de manière interpellante.1
Les viols, les meurtres, les injustices, les divisions au sein de la famille royale sont mises en avant, rendues plus vivantes par ces voix de femmes, ces épouses et mères, les premières victimes et témoins de ces différentes exactions. Paradoxalement, David est rendu très humain dans cette réécriture contemporaine.
Arditti chamboule nos visions du grand roi David avec finesse et brio, mais aussi de ce que pouvaient vivre ces femmes prises dans des luttes de pouvoir. Il interpelle aussi le lecteur sur la vision de Dieu que l’on peut avoir. Selon Michal, Dieu est sanguinaire et froid, à l’image du roi David.
J’ai trouvé ce roman convaincant, terrifiant, fait de l’étoffe des grandes tragédies. Pourtant familière du récit biblique, j’ai été tellement transportée dans ce roman que j’en oubliais le récit source. Arditti ne propose pas une exégèse, ni une version romancée de 1 et 2 Samuel. Il s’approprie ce grand récit et nous offre une tragédie contemporaine digne de ce nom, soulevant de nombreuses questions. La question du pouvoir, mais aussi de la transmission de l’histoire sont mises en avant. Les femmes confrontent ainsi la version officielle racontée par le prophète Nathan. Qui dit la vérité ? A qui appartiennent les récits sacrés ? Qu’arrive-t-il aux personnes qui se sentent appelées à diriger ? Les liens entre pouvoir et sexualité sont également travaillées. Quelle place pour la foi dans ces luttes de pouvoir ?
Un roman à l‘écriture fluide, riche et envoutante que je vous invite à découvrir (si vous lisez l’anglais).
- Si le sujet vous intéresse, cet épisode du podcast Evolving Faith parle également de ce récit troublant de 2 Samuel 21: 1-14 : « Climbing the Mountain of Injustice with Austin Channing Brown » https://evolvingfaith.com/podcast/season-1/episode-2
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