Les retrouvailles… enfin !
On 13 décembre 2024 by Marie« Booz était monté au tribunal [à la porte de la ville – NFC] et s’y était assis. Voici que vint à passer le racheteur dont Booz avait parlé. Booz dit : « Un Tel, arrête donc, assieds-toi donc ici ! » Celui-ci s’arrêta et s’assit. Alors Booz prit dix hommes parmi les anciens de la ville et dit : « Asseyez-vous ici. » Ils s’assirent. » Ruth 4.1-2 (TOB)
Le lendemain de la veille…
La fête avait duré jusque tard dans la nuit. Ce matin, ce sont les quelques convives venus de loin qui se retrouvent dans le jardin familial. Fourbus et fatigués, il s’installent où ils trouvent de la place, à même le sol ou sur les quelques chaises disponibles. Ils profitent ensemble de ces retrouvailles plus calmes. Les moments forts de la veille sont au coeur de leurs discussions. Que de joie et d’émotions ! Au frais sous le grand hêtre, leurs corps ont déjà oublié la chaleur moite et suffocante qui avait envahi la tonnelle où avait lieu la cérémonie et où les familles des mariés s’étaient installés de part et d’autre de la table ronde.
Certains repensent aux danseurs qui rythmaient la cérémonie de leurs danses traditionnelles avec entrain et énergie. D’autres encore se rappellent les pourparlers entre les deux familles et leurs représentants. Bien ficelés, dans les règles de l’art. Avec tout le sérieux et l’éloquence exigés. Les connaisseurs parmi les convives discutent des détails et approuvent la manière dont le tout s’est déroulé.
Un morceau de tarte en main, un jeune garçon d’une dizaine d’années quitte ses cousins et se dirige vers sa grand-mère, l’aïeule du groupe, toujours aussi vaillante et aussi dynamique. Aujourd’hui, elle porte sa salopette fétiche et il se dit qu’il la préfère comme ça, plutôt qu’avec cette longue robe qu’elle portait la veille. Il l’avait à peine reconnue. Elle est en train de bourrer sa pipe et c’est avec des yeux pétillants, mais le visage autrement imperceptible qu’elle regarde son petit-fils venir à elle comme si de rien n’était. Ils habitent loin les uns des autres et cela fait des mois qu’ils n’ont pu se voir, même si des échanges ont bien eu lieu par courrier et téléphone.
– « Mamy… euh tu vas bien ? »
– « Oh oui, je vais bien. Et toi ? Qu’as-tu pensé du mariage de Tatie C… hier ? C’était une belle fête, non ? »
– « Oui, c’était beau et vivant. Je n’avais jamais vu un mariage traditionnel comme ça. Et toi ? »
– « Oh il y avait longtemps que je n’avais pas assisté à un mariage rwandais. Je suis d’accord avec toi, beaucoup de joie. »
– « Dis Mamy, ce ne serait pas un bon moment pour que tu nous racontes la fin de l’histoire de Ma-Gracieuse et Amie, comme tu l’avais promis ? Qu’est-ce qu’il se passe avec Force-en-Lui ?? »
– « Haha, et bien pourquoi pas après tout. Où en étions-nous arrivés ? Tu t’en souviens ? »
– « Mais bien sûr que je m’en souviens !! Force-en-Lui a renvoyé Amie chez elle et les deux femmes attendent patiemment – comme moi !!! – des nouvelles de Force-en-Lui qui a promis de prendre les choses en main. »
– « Oui, c’est bien cela… Alors attends que je reprenne un peu le fil de mes idées. »
La vieille dame s’installe confortablement dans sa chaise, à l’ombre du grand hêtre, et commence à fumer sa pipe alors que plusieurs membres de la famille et amis viennent s’installer autour d’elle pour écouter la suite de l’histoire. Tous connaissent ses talents de conteuse et se réjouissent de l’entendre. Elle sourit et commence :
Aux portes de Bethléem
« Le jour se lève à peine que la vie foisonne déjà aux abords des portes de Bethléem. Les jeunes femmes vont et viennent puiser au puits l’eau dont elles ont besoin. Autour d’elles, des enfants courent dans tous les sens. L’un d’eux manque de faire trébucher l’amie de sa sœur qui le réprimande vertement. Il se cache plus loin et le bruit des conversations reprend ; les dernières petites nouvelles sont échangées alors que les seaux se remplissent. Et puis, la cruche sur la tête, elles repartent vers leurs maisons et journées bien chargées.
À la porte, elles croisent d’autres femmes et hommes en partance vers les champs, pour effectuer les tous derniers travaux de la saison. D’autres encore se dirigent vers le marché d’où proviennent l’odeur des olives, des dattes ou encore du poisson ainsi que le bruit des négociations.
Un peu plus loin, un vieil homme rentre par les portes de la ville, son âne chargé de foin. Il passe devant le grand sycomore à l’entrée de la ville. C’est là, à l’ombre de l’arbre que sont déjà paisiblement installés quelques hommes.
Soudain, un homme a l’air décidé les rejoint à grandes enjambées. Il revient des champs où il a passé la nuit pour la fin de la récolte. Les hommes lèvent la tête et l’observent. Il avance vers eux avec l’allure d’un homme prêt à négocier, prêt à obtenir ce qu’il souhaite. Il ralentit le pas à leur approche et les salue.
– « Que le Seigneur soit avec vous ! »
– « Ah Force-en-Lui, que le Seigneur te bénisse ! Assieds-toi donc et raconte-nous les derniers évènements. Vous avez bien battu l’orge hier ? »
Force-en-Lui, car c’est bien lui, s’assied en compagnie de ces hommes qu’il connaît depuis toujours et discute tranquillement alors que d’autres encore se joignent à eux. Bientôt ils forment un petit groupe. C’est à ce moment-là que Force-en-Lui interpelle soudain l’un des passants :
– « Eh là, Un-Tel, viens par ici et assieds-toi. J’ai à te parler ! »
Un peu surpris, mais curieux de savoir ce qu’il lui veut, Un-Tel attache son âne près du sycomore et vient s’installer en face de Force-en-Lui. Celui-ci profite de ce moment pour rassembler autour de lui dix anciens de la ville et leur demander d’être témoins. Dix hommes, c’est le nombre d’hommes qu’il faudra après l’exil pour construire une synagogue. Dix hommes, c’est le minimum légal pour régler une affaire en Israël. Et c’est ainsi qu’en cette matinée de marché, un petit attroupement d’hommes se forme au pied du sycomore. Dix anciens de la ville, deux protagonistes et quelques badauds qui viennent écouter.
Force-en-Lui connaît bien tous ces hommes présents, il connaît les us et les coutumes de son village, de sa communauté. Il a grandi avec Un-Tel. Ils faisaient partie de la même famille et il ne compte plus le nombre de fois où, enfants, ils jouaient à cache-cache derrière les ballots. Mon-Dieu-est-Roi n’était d’ailleurs jamais bien loin non plus. Cela remonte tout cela, pense-t-il en regardant Un-Tel assis devant lui.
Comment faire ?
Comment amorcer cette conversation et cette négociation ? Tout au long de cette longue et étrange nuit, il a réfléchi. Comment faire pencher la discussion en faveur d’Amie et Ma-Gracieuse ? Il repense à leur courage ; il admire ces deux femmes et les respecte profondément. Il perçoit leur attachement réciproque et il sait qu’il doit trouver une solution pour aider les deux femmes à la fois, et non l’une au détriment de l’autre. Pas si simple que cela dans la société patriarcale à laquelle il appartient. S’il épouse Amie, elle quitte alors la famille de Ma-Gracieuse pour s’attacher à la sienne. Que deviendrait alors Ma-Gracieuse ? Comment faire ? »
La veille dame s’arrête et regarde son auditoire suspendu à ses lèvres, comme si elle attendait une réponse de leur part. Après quelques secondes, elle reprend son récit.
« C’est Amie qui lui a fournit une piste, un angle d’attaque inattendu, une manière somme toute subtile de contourner la lettre de la loi pour n’en garder que l’esprit. C’est une femme avec une intelligence vive qu’Amie. Bien entendu, Force-en-Lui a reconnu la main de Ma-Gracieuse dans les actions d’Amie. Mais quelque chose lui dit qu’elle a fait plus et qu’il a pu voir la force tranquille d’Amie à l’oeuvre.
En reprenant les mots qu’il avait lui-même prononcés lors de leur première rencontre, Amie l’a enjoint à la prendre sous ses ailes, elle qui était venue se réfugier sous les ailes du Seigneur. Autrement dit, elle l’invite à faire preuve de générosité et de l’épouser. Elle a entendu parler de cette tradition du lévirat qui consiste pour un frère à épouser la veuve de son frère défunt. Au pied de la lettre, cela ne les concerne donc pas, et pourtant Amie y fait allusion. De plus, elle fait également allusion à une autre tradition, celle du rachat. Force-en-Lui est leur goel, leur rédempteur, leur racheteur, le proche parent qui peut racheter le terrain qui appartient à Ma-Gracieuse. Sauf qu’il y a un autre proche parent et que c’est la première fois qu’il est question de ce terrain… Mais en faisant référence d’une part au mariage et d’autre part à la notion de rédempteur, Amie lui a donné une idée…
En fin négociateur qu’il est, il a maintenant toutes les clés pour négocier de manière à être plus large que la loi, plus généreux, tout en respectant son esprit… et en amenant les choses à son avantage et à celui de ces deux femmes. Regardant Un-Tel et imaginant Amie et Ma-Gracieuse assises chez elles à attendre patiemment, il se sent prêt. La vie triomphera-t-elle au-delà de la mort ?
A suivre…
Merci d’avoir repris l’écriture, c’est un plaisir de te lire. Un goût de trop peu mais tu as beaucoup en ce moment. Alors j’ attendrai comme on patiente pour Noël…
Merci encore et bonnes fêtes.