Quand maman se transforme en Joe Dalton … ou petite éloge de nos imperfections
On 30 juin 2022 by MarieL’été est là, juin touche déjà à sa fin. Les vacances scolaires des enfants commencent ce soir. Le rythme familial va être chamboulé…
L’occasion pour moi de faire le point et de me préparer à ce quotidien un peu différent qui est à notre porte. Si je suis aujourd’hui plutôt sereine face à cette période (qui vient quand même systématiquement trop vite), ça n’a pas toujours été le cas. Alors avant la trêve estivale du blog, je me suis replongée dans mes souvenirs et je vous partage un texte écrit en octobre 2018 où je parle de fatigue, d’une recherche d’équilibre, de mes luttes avec les enfants, d’un mémorable coup de colère et d’une remise en perspective. Un apprentissage fait d’humilité et de compassion.
En relisant ce texte, je perçois le chemin parcouru, les luttes qui restent et celles qui changent (heureusement !). Peu importe la saison de vie où vous vous trouvez, j’espère que ce texte pourra être un encouragement à percevoir « ces nuances de couleurs qui donnent toute leur saveur, leur beauté, mais aussi leur difficulté » à nos relations. Passez un bel été !
Je vous retrouve pour le blog dans le courant du mois de septembre mais continue de travailler (à un rythme moins soutenu) pour les albums MaCaLu (www.macalu.be).
Coup de colère
Ce soir-là, je me suis transformée en monstre. Trois semaines avant Halloween, pourtant. Je ne sais pas si j’ose vraiment vous le dire d’ailleurs. C’est que j’en ai un peu honte. Ce n’était pas beau à voir, ou plutôt pas très digne. Disons, que pour une mère de famille qui se respecte (ou essaye) et qui tente d’inculquer certaines valeurs à sa progéniture, et bien ça craint.
Bon, je vous avoue que la fatigue est là. Elle entraine depuis quelques temps une grande restructuration et les dommages collatéraux se font ressentir. Il faut dire qu’avec cette restructuration, le capital patience a été raboté de moitié et l’investissement dans les énergies nécessaires à la survie de la fameuse tranche horaire 17h-20h se fait rare. De plus, la capacité d’empathie face aux (trop) nombreuses douleurs du corps de mes enfants se trouve réduit comme une peau de chagrin et la résistance au bruit occasionné par une famille nombreuse est grandement limitée faute de moyens.
Au sein de cette restructuration déplorable mais néanmoins d’envergure se trouve une famille qui se cherche un équilibre suite à l’arrivée intempestive du petit dernier. Celui-là même qui semble avoir compris que s’il veut se faire une place, il doit le faire en hurlant et qui ce faisant, chamboule toutes les petites habitudes familiales.
Alors ce soir-là, l’espace d’un instant je me suis transformée en monstre. Au milieu d’un repas familial qui était tout sauf paisible, j’ai sauté sur place, trépigné et crié (aaaahhh) en m’arrachant les cheveux tel Joe Dalton mis en déroute par Lucky Luke. D’un coup, les cris d’affamés, les plaintes et « râleries » en tout genre ont laissé place à la stupéfaction, bientôt suivie d’un fou rire généralisé. Un fou rire tel que les larmes en coulaient, la nourriture était recrachée et ma fille riait en disant : « je hais Lucky Luke, je hais les Schtroumpfs ! » Apparemment j’imite assez bien les vilains de leurs bandes dessinées préférées et ces monstres-là ne leur font même pas peur. Je dépose les armes et accepte la grâce de ce moment de complicité autour de mon imperfection.
Et pourtant, une fois les enfants couchés je perçois un sentiment de culpabilité au fond de mon être. Je m’en veux quand même. Je m’en veux de cette fatigue extrême qui me rend trop réactive. Je m’en veux de cette incapacité à être à l’écoute des besoins de mes enfants et de ne pouvoir y répondre. Je m’en veux de ne pas savoir mettre en pratique toute une série de dictats éducatifs. Je m’en veux de penser après coup à ce que j’aurais pu, dû faire. Je m’en veux de me sentir dépassée par les évènements. J’ai honte de cette imperfection qui m’habite et j’en redoute les conséquences.
Quelques jours plus tard par une belle après-midi d’octobre, une mère et sa jeune fille sont venues à la bibliothèque. Après avoir rendu les quelques livres empruntés, elles sont allées en choisir d’autres. Près du bac des livres cartonnés, la petite fille tient un bac rouge qu’elle peut remplir des livres de son choix. Agenouillée à ses côtés, sa maman ouvre également des livres, tourne les pages, regarde les images, en choisit certains. Après un moment, elles regardent ensemble ce qui se trouve dans le bac rouge et font un choix en commun. D’un air distrait, vaquant à mes occupations, je les entends et je les observe.
Quelle belle scène. Cette complicité tout en douceur entre mère et fille, cette écoute mutuelle. La petite fille interrompt mes rêveries et me demande poliment si elle peut prendre un bonbon. Mon accord donné, elle retourne avec joie vers sa maman qui se prépare à emprunter les livres. Au fur et à mesure qu’elle range les albums dans leur sac, la maman demande naturellement à sa fille de compter les ouvrages empruntés.
Bien longtemps après qu’elles soient parties, je repense à elles. Cette maman me fait penser à une autre maman, à celle que j’ai été un jour. Celle qui ne se transformait pas si vite en Joe Dalton. Celle qui prenait le temps de vivre au rythme de ses enfants. Celle qui les impliquait dans son quotidien. Je me demande où cette jeune femme a bien pu s’envoler. Bien souvent ce n’est plus elle qui est au rendez-vous avec les enfants. Stupéfaite, je m’interroge. Pourquoi ce changement ?
Les jours passent, la question demeure. Dans un premier temps, je remets les choses en perspective. Les arrêts sur image ne sont jamais complets et ne disent pas toute la vérité. Nos relations avec nos enfants, nos relations en général ne sont jamais soit parfaites, soit imparfaites. Elles sont remplies de ces nuances de couleurs qui leur donnent toute leur saveur, leur beauté, mais aussi leur difficulté. Alors j’accepte ce sentiment de honte qui m’habite parfois et j’essaye tant bien que mal de l’accueillir dans le fouillis de mon quotidien. Je me raccroche à ces petits moments de complicité que nous avons, même si l’harmonie des premiers temps semble s’être évaporée dans le lointain.
Et là encore je m’interroge. Ne suis-je pas simplement en train d’idéaliser un passé qui lui aussi était fait de luttes, de conflits et de tensions ? N’ai-je pas simplement décidé de garder pour moi les meilleurs moments, de revoir cette photo des enfants complices et attendris l’un envers l’autre plutôt que tous ces moments de disputes fraternelles ? A l’inverse n’ai-je pas cette tendance à voir le verre à moitié vide ces jours-ci, de voir ce qui va mal plutôt que toutes ces attentions, tous ces fous rires, ces partages qui font eux aussi partie de ma vie ? Est-ce que je ne manque pas de gratitude face à tous les bienfaits dont je suis comblée ?
Est-ce que cette fatigue constante et cette stimulation excessive qui limitent les moments de calme et de solitude ne me jouent pas des tours ? De cette expérience, deux mots me viennent à l’esprit : humilité et compassion. Je me sens humble face à mes capacités, face à ce que je croyais jadis être capable de faire et d’être. L’arrivée d’enfants, quelle leçon de pagaille et de chaos. Moi qui aime tout contrôler, qui aimerais tout bien faire, me voilà confrontée à mes limites. Alors je tente de l’accepter avec humilité et confiance. Humilité devant mes faiblesses mais confiance que ce que je suis, ce que je fais sera ‘suffisamment bon’ pour mes enfants. Humilité devant ma finitude, mais confiance que ma vie et celles de mes enfants sont entre les mains de Dieu.
Et puis j’apprends la compassion à un nouveau degré. La compassion pour toutes ces autres personnes qui elles aussi craquent, qui elles aussi sont confrontées à leurs limites, qui tentent tant bien que mal de passer à travers le chaos de leur vie. Que l’on n’ait un, deux, trois, quatre (ou plus) enfants, que l’on n’en ait pas mais que l’on aimerait (ou pas) en avoir, que l’on soit seul ou en couple, que l’on travaille ou non, je suis remplie de compassion pour tous ces êtres qui m’entourent et qui tentent cahin-caha d’aimer et d’entrer en relation, tout en étant confrontés à leurs propres limites.
De cette humilité et compassion naissantes, je regarde à nouveau ma vie de famille et tente de savourer le moment présent chaque fois si différent et si inattendu. Je m’octroie du temps pour moi et accepte davantage mes faiblesses et limites. J’accepte cette saison de vie où l’équilibre familial se construit tant bien que mal. J’apprends les chatouillages qui désamorcent les pires « râleries », je profite des lectures qui apaisent et qui dépassent parfois le planning initial, je découvre le plaisir d’apprendre à mes enfants à tricoter, je réinstaure des moments de massage, j’essaye de profiter des rares moments privilégiés en tête à tête avec chacun des enfants. Et surtout j’observe et apprends de mon époux, de sa manière propre d’entrer en relation avec nos enfants. J’accepte également avec gratitude l’aide de mes proches et redécouvre avec joie les petits moments qui enrichissent notre vie de famille au-delà des imperfections qui l’habitent.
(Octobre 2018)
Touchant. Merci.