Actes de colloque : question de datation dans le livre de Ruth
On 24 novembre 2022 by MarieUniversité de Outsiplou
30 novembre 20..
3ème journée d’études internationale du Réseau de Recherches sur le Premier Testament
Approches historico-critiques (et narratives) dans le livre de Ruth
Enregistrement
1. Mot introductif du Président du Réseau de Recherches sur le Premier Testament
C’est pour moi un véritable honneur de pouvoir aujourd’hui introduire mes estimés collègues qui ouvriront notre journée d’études annuelle – dont la réputation n’est plus à faire – avec cette session inaugurale tant attendue. Spécialistes renommés du livre de Ruth et en particulier de l’épineuse question de sa datation, ils ont traversé des océans pour nous faire part de l’état des lieux de la problématique. D’avis différents, ils étayeront et argumenteront leurs perspectives et positions propres, vous permettant ainsi, nous l’espérons, de vous faire votre propre idée en tout état de cause.
J’ai donc l’immense honneur de vous présenter d’une part, le Professeur Dr. Jean Suisur, professeur ordinaire de la faculté évangélique de théologie de Trèsloindici, responsable du département Ancien Testament et d’autre part, le Professeur Dr. Gérard Mentor, professeur ordinaire à la faculté catholique de théologie d’Encoreplusloin et éditeur général de la revue ‘Ruth’.
Un tout grand merci à vous d’être présents aujourd’hui et d’avoir accepté d’introduire cette journée d’étudespar votre intervention. Sans plus attendre, je leur cède la parole.
2. Séance plénière: Pre-Exilique ou Post-Exilique ? Retour sur la datation du livre de Ruth1
– Modérateur (M) : Chers Messieurs Suissur et Mentor, encore merci pour votre présence parmi nous pour discuter de la datation du livre de Ruth. Pourriez-vous dans un premier temps spécifier l’époque à laquelle vous croyez que ce livre a été écrit ?
– Dr. Jean Suissur (JS) : En ce qui me concerne, mes recherches me donnent à penser que le livre de Ruth a été écrit sous le règne du roi Salomon, aux alentours du 10ème siècle avant notre ère.
– Dr. Gérard Mentor (GM) : Alors que pour ma part, je considère ce livre plus tardif. Je soutiens qu’il a été écrit à l’époque d’Esdras, au retour de l’exil à Babylone, 5 siècles plus tard.
– M : 5 siècles d’écart, une grande période qui a des implications également pour la réception du texte, je suppose. Mais comment s’y prend-t-on pour dater un livre aussi ancien ?
– GM : Une grande partie du problème et du débat se situe là justement. S’il y a effectivement des critères objectifs pour dater un texte ancien, nous restons néanmoins dans des hypothèses, car la manière dont nous interprétons les données varie. Je pense pouvoir dire et je suppose que mon collègue sera d’accord avec moi que chacune de nos hypothèses se tiennent, mais ont évidemment des implications différentes pour la lecture et l’analyse de ce livre.
– JS : En effet, l’honnêteté intellectuelle me force à admettre que ma position n’est pas certaine à 100 %, même si je penche pour elle… Mais pour revenir à votre question, Monsieur, je dirai que les arguments classiques utilisés pour dater un livre ancien tels que Ruth sont les suivants :
- la langue
- une comparaison avec d’autres textes de la bible hébraïque
- pour Ruth, l’analyse des coutumes légales dont il est question dans le livre
– GM : Oui en effet ce sont les arguments généralement avancés, mais chaque donnée peut être vue différemment, ce qui nous donne cet écart important entre nos deux datations.
– M : Mais alors, en quoi est-il important ou pas de connaître la datation du livre si cela est si compliqué de la définir ? Ne peut-on pas simplement lire le livre comme cela… ?
– GM : Bien entendu. Mais lorsqu’un récit est raconté, lorsqu’un livre est écrit, il émerge d’un contexte qui lui est propre. N’oublions pas que nous avons à faire à des textes anciens qui étaient vraisemblablement racontés de génération en génération avec des variantes locales. La question ici est de savoir quand ce récit a été mis par écrit dans sa forme finale et quelle auraient pu être les réactions des premiers auditeurs/lecteurs.
– M : D’accord… Pourriez-vous brièvement nous présenter vos arguments et ce que votre lecture particulière de la datation du livre de Ruth implique pour la compréhension du texte ? M. Jean Suisur ?
– JS : Oui bien sur…
Ceux qui comme moi soutiennent l’hypothèse que Ruth a été écrit à l’époque de la monarchie autour du 10ème siècle avant JC se basent essentiellement sur les arguments suivants :
- Premièrement, la langue du livre de Ruth: c’est de l’hébreu ancien, avec des formes linguistiques archaïques (dans l’écriture utilisée pour le ‘je’, dans l’absence de différentiation grammaticale entre les formes masculin et féminin, et dans l’absence fréquente de mater lectionis). Les quelques araméismes sont le fruit d’une révision ultérieure du texte.
- De plus, nous sommes face à une langue qui a de nombreuses similitudes avec les textes de la Genèse, de Samuel et des Rois. Une lecture attentive de ces textes met en évidence les nombreux liens intertextuels entre les histoires des patriarches et de Ruth.
- Enfin, les coutumes et lois dans le livre de Ruth : une comparaison entre Ruth et Deutéronome 21-25 montre que dans le premier, les lois n’étaient pas encore fixées, formalisées. Etant donné que nous savons que Deutéronome est tardif, il me semble que Ruth ne peut avoir été écrit qu’avant cette période, avant cette formalisation des lois et coutumes. Par ailleurs, le livre de Ruth montre une ouverture incroyable envers Moab – ce qui n’est absolument pas le cas dans le Deutéronome – et qui permet au narrateur de présenter David comme le descendant d’une Moabite.
– M : Et dans quel but, quel aurait été l’intention de l’auteur d’écrire ce livre à ce moment-là ?
– J.S : Je pense que l’histoire racontée dans ce contexte permet de réfléchir à la place des étrangers – nombreux – dans le peuple de Dieu et à leur assimilation. Grâce à sa foi, Ruth devient l’honorable ancêtre du roi David. Le livre devient ainsi une sorte de plaidoyer pour montrer qu’en ayant une foi comme Ruth, des étrangers au peuple peuvent également faire partie du peuple. La foi en Dieu n’est-elle pas la seule chose qui compte réellement ? Dans ce contexte, il est intéressant de noter que le judaïsme interprète souvent le livre de Ruth comme un exemple, un mode d’emploi presque pour une conversion au judaïsme. Par ailleurs, un croyant peut également apprendre de Ruth. Lu ainsi, ce livre est un appel à plus d’ouverture envers les étrangers. Après tout, ne sont-ils pas eux-mêmes étrangers ?
– G.M : Si je suis d’accord avec mon collègue sur cet esprit d’ouverture prôné par le livre de Ruth, je le situe néanmoins 5 siècles plus tard. Pour moi, l’argument langagier ne tient pas tout à fait la route. Si nous sommes effectivement globalement confronté à de l’hébreu ancien, je pense que c’est plutôt un effet de style pour donner l’impression que ce texte est ancien. Or la présence d’araméisme montre une influence plus tardive que je daterai du temps des Assyriens / Babyloniens. De même, l’argument avancé sur les coutumes a des limites. Si on retourne l’argument, on peut estimer que les coutumes ont évoluées depuis qu’elles ont été rédigées dans le Deutéronome. L’interprétation de ces prescriptions s’est élargie avec le temps, tout simplement… Le thème de la générosité (hesed) qui parcoure le texte indique que l’important n’est pas tant de respecter la loi par obligation mais plutôt par choix. Et puis, je pense également que la théologie du livre de Ruth a de nombreux points communs avec Esther, ce qui m’invite à opter pour une rédaction tardive…
Oyez, oyez braves gens ! Pendant que ces messieurs argumentent l’importance herméneutique de leurs palabres, suivez-moi ! Laissez libre cours à vos imaginations, laissez-vous transporter à ma suite dans une époque révolue.
Premier arrêt : ± 10ème siècle avant J.-C.
« Je travaille comme scribe à la cours du roi Salomon. Pas plus tard qu’avant-hier, une demande nous a été adressée : mettre par écrit l’histoire bien connue de l’arrière-grand-mère du roi David, le père de notre roi actuel. Ce n’est pas qu’une petite histoire de famille. C’est bien plus que cela et c’est tellement représentatif de l’histoire de notre peuple, histoire qu’il nous est donné à nous scribes de transcrire. Nous avons donc la mission d’écrire ce récit que nous racontent nos grands-mères et les femmes de nos familles lors des veillées.
Ruth a vécu à l’époque des Juges, une période bien trouble de notre histoire, avant l’avènement de la Royauté et en particulier de la noble famille de David. Rappelez-vous à cette époque, le pays était essentiellement peuplé de Cananéens qui adoraient de nombreux dieux dont Baal et Astarté. Ils n’avaient pas encore compris que seul l’Eternel est Dieu, l’unique. Nous n’étions qu’une infime partie de la population de Canaan a être descendants de nos pères Abraham, Isaac et Jacob, revenus d’Egypte et adorant le seul vrai Dieu.
C’est à cette époque que Ruth la Moabite est venue parmi nous et a intégré le peuple de Dieu grâce à sa foi. Ce sont ses descendants, le roi David et son fils notre roi Salomon qui ont réussi à rassembler les villes autour de Jérusalem et de leur maison. De nombreuses personnes continuent de croire en d’autres dieux. Malgré tout, d’autres encore se tournent peu à peu vers Yahwé et l’histoire de Ruth nous montre comment nous pouvons les accueillir parmi nous.
Depuis plusieurs années déjà, nous les scribes, nous mettons par écrit les hauts faits de la maison de David. Nous avons aussi commencé à retracer l’histoire unique de notre peuple choisi par Dieu. Je suppose qu’en nous demandant de rédiger ce récit sur Ruth, nous pouvons donner à tous un exemple pour accueillir tous ces étrangers à la foi qui souhaitent faire partie à part entière de notre peuple. Quelle belle histoire et quel encouragement pour nos temps ! »
Deuxième arrêt : +/-5ème siècle avant JC
« Imaginez. Ma famille n’a pas bougé, nous sommes installés dans ce petit village depuis des générations. Les derniers temps, la situation a changé pour nous. Ceux qui avaient été exilés, les prêtres, les « élites » des grandes villes comme ils disent, sont revenus. Ils avaient été emmenés quand ma grand-mère était encore jeune. Elle nous racontait les avoir vu partir sur les routes, prisonniers. Ils sont partis et nous, les paysans dans la région, nous avons été épargnés et nous sommes restés. Nous avons pleuré, nous avons jeûné, nous étions en colère contre l’envahisseur, mais aussi stupéfaits. Comment est-ce que tout cela avait pu se passer ? Qu’allions-nous devenir ?
Les jours, les mois, les années se sont succédés et ils ne sont pas revenus. Dans notre village, nous avons accueilli des réfugiés venus du Nord et des villes détruites. Il a bien fallu se réorganiser ; nous avons continué à cultiver nos terres quand c’était possible, à récolter et presser les olives, réparé nos outils, tissé nos vêtements, raconté nos histoires lors des veillées. De nouveaux chefs ont pris leur place au niveau local. Nous nous sommes mariés, parfois avec des cananéennes encore présentes dans le pays ou des femmes des nations étrangères. Il faut dire que même avec les réfugiés venus du nord, nous n’étions plus aussi nombreux… Ma famille et moi sommes restés fidèles au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Nous étions les seuls survivants, descendants de cette nation encore présente sur la terre promise. Nous n’avions plus de nouvelles des exilés. Aucun moyen de savoir ce qu’ils étaient devenus.
Et puis un jour, il y a quelques temps, un groupe est arrivé de Babylone, des descendants des prisonniers. Quel choc ! On croit tous au Dieu créateur, ça c’est sûr! Mais maintenant ils insistent sur d’autres choses. Bon il faut dire que là-bas à Babylone, ils étaient loin du temple (même détruit), du pays promis. Alors ils ont commencé à se poser plein de questions, différentes des nôtres. Comme par exemple, comment adorer Dieu alors qu’ils ne sont plus au pays ? Ils insistent davantage sur les rituels liés au quotidien, sur le sabbat, mais aussi sur une sorte de pureté et d’exclusivité du peuple juif. Et là, je ne suis plus trop d’accord. Il faut que vous compreniez, ils sont revenus comme ça du jour au lendemain et ils ont promulgué un tas de lois, sans vraiment nous consulter, nous qui avions été laissés au pays. C’est pas parce que nous ne sommes pas l’élite du peuple que nous n’avons rien à dire… Par exemple, il est maintenant interdit de se marier avec des femmes étrangères, pire il faut répudier celles qui sont encore au milieu de nous. Non, mais vous imaginez ? Ça nous a mis en rogne tout cela ! De quoi se mêlent-ils ? Peuple à part, oui, mais on ne va quand même pas répudier nos femmes qui se sont intégrées parce qu’ils le disent.
Ça nous a fait repenser à cette histoire que l’on raconte depuis des générations, vous savez l’histoire de Ruth, la Moabite (et là je peux vous dire qu’on insiste bien sur le fait qu’elle soit Moabite depuis quelques temps), l’ancêtre de notre grand roi David. On aime bien raconter et écouter cette histoire. Les scribes l’ont d’ailleurs mise par écrit. La vie est plus compliquée qu’une série d’édits à respecter par principe. Je fais quoi moi avec ma femme qui n’était pas juive mais qui s’est si bien intégrée. Hors de question que je la répudie, quoiqu’en pensent ces messieurs !
Ah nous sommes contents qu’ils soient revenus d’exil, mais la cohabitation n’est pas évidente tous les jours… »
3. Ateliers en petits groupes
Enregistrement non fourni.
Fin de l’enregistrement.
Clôture du colloque à 15h16.
References
- Basé sur et adapté à partir de Ellen van Wolde, Ruth and Naomi, “The narrator in historical perspective”, pp.116-126.
Excellent, humour, mise en perspective. Merci
Avec plaisir!
Je pense que j’ai pris autant de plaisir à écouter ce colloque que toi à l’enregistrer! Plein de saveur et de richesse!
Tant mieux alors :-)!
Bien ficelé et Très amusant ce colloque ! surtout la dernière partie , concernant l’avis des paysans restés au pays .
Bravo, Marie .