Ruth 1 (1/5) : Le départ
On 8 mai 2021 by MarieLe premier chapitre du livre de Ruth campe le décor de l’histoire, une histoire qui ne commence pas si bien que cela… Envie d’en savoir plus? Suivez-moi pour une petite histoire entre rêveries et réflexions…
Vous pouvez écouter la version audio de la première partie ici :
La dernière soirée des vacances était déjà là. Dans le foyer, les flammes dansaient et illuminaient les visages fatigués des randonneurs d’un jour. Chacun était plongé dans ses pensées, insensible à l’obscurité qui pénétrait de plus en plus dans le gîte familial.
Un murmure à peine plus fort que le crépitement des flammes les sortit de leurs rêveries. De sa voix douce, l’aïeule du groupe prit la parole, les yeux fixés sur le feu.
« Et si je vous racontais une histoire ? Vous savez, une de ces histoires qui vous habitent que vous le vouliez ou non ?
« Je ne peux pas m’en empêcher, quand je vois des flammes bondir et tournoyer dans cette étrange couleur virant subitement du jaune au rouge en passant par cette teinte orangée, parfois bleutée, je suis transportée au plus profond de moi-même. Des histoires ressurgissent et prennent vie dans mon imagination. J’imagine toutes ces personnes qui, un jour, pour une raison ou une autre, ont eux aussi plongé leurs regards dans des flammes.
« L’histoire qui me revient maintenant commence autour d’un feu rudimentaire, couvert, qui sert à cuisiner. Et puis dans cette histoire, il est surtout question d’une longue marche, certes différente de celle que nous avons entreprise aujourd’hui. Mais ce n’est pas grave, laissez-moi vous conter cette histoire… »
« Il était une fois, il y a très longtemps – au temps d’avant – vivaient un homme et sa femme. C’était la période des troubles dans leur pays. La violence régnait et chacun faisait ce qui lui semblait bon. De temps à autre, un homme ou une femme se levait, rétablissait un peu d’ordre et arrêtait ce cycle de violence infernal pour un temps. Mais inévitablement, les horreurs reprenaient, chacun laissant de côté le Dieu de ses ancêtres pour adorer d’autres divinités locales. Mal leur en prenait.
« Au coeur de ces tensions, un homme pieux du nom de Mon-Dieu-est-Roi vivait avec sa femme Ma-Gracieuse dans une petite ville au sud de Jérusalem. Ni particulièrement riches, ni particulièrement pauvres, ils formaient un couple heureux, uni et respecté de leur communauté. Ils avaient cependant deux fils Maladie et Fragilité qui leur causaient des tracas. De braves garçons, ils étaient de santé délicate depuis leur tendre enfance et leurs parents faisaient tout leur possible pour les préserver. Maladie et Fragilité avaient grandi tant bien que mal mais restaient chétifs. Il faut dire qu’entre les mauvaises récoltes des dernières années et les troubles détruisant les faibles ressources, il n’y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent.
« Cet hiver-là, un matin à l’aube, la situation fut particulièrement dure au point où les vivres vinrent à manquer. Ma-Gracieuse cuisait le pain du jour, ou ce qui ressemblait le plus à un pain, avec les derniers grains qu’elle avait raclés au fond du sac et moulu. Mon-Dieu-est-Roi était sorti voir chez les voisins s’il pouvait leur acheter quelques grains. Les épaules basses, le regard vide et découragé, il rentra et s’affala près du foyer. Il observa un instant les quelques flammes et la fumée qui s’échappait du foyer sans rien dire.
– ‘Rien, plus rien, Ma-Gracieuse. Il n’y a plus de grain, plus de pain disponible. Nos voisins aussi en souffrent.’
– ‘C’est la dernière miche de pain que j’ai pu préparer, Mon-Dieu-est-Roi. Après cela, nous n’aurons plus qu’à attendre de mourir.’
– ‘Nous ne pouvons pas… Après tous nos efforts. Il doit y avoir une autre solution.’
– ‘Quoi donc ? L’Eternel nous a abandonné, voilà ce qu’il y a ! Où trouverions-nous de quoi nous nourrir ? N’as-tu pas cherché chez tous nos voisins ?’
– ‘Si va… mais je pensais… et si nous allions là où il n’y a pas de famine ? J’ai entendu dire qu’à Moab, dans ce plateau fertile, ils ne manquaient pas de blé. Ils auront peut-être même besoin de main-d’oeuvre. Qui sait ?’
– ‘Moab !? Mais tu n’y penses pas Mon-Dieu-est-Roi ! Que deviendraient nos fils là-bas ?’
– ‘Ils auront à manger au moins ! Ils reprendront des forces ! Tu sais bien que si nous restons ici, ils mourront… Et puis Ma-Gracieuse, ce n’est que pour un temps. Non, plus j’y pense, plus je crois que c’est notre seule solution… comme Abraham et Jacob avant nous.’
– ‘Pour le bien que ça leur a apporté…’
– ‘Nous n’avons pas le choix Ma-Gracieuse ! Prépare donc nos affaires, demain nous partons !’
« Et c’est comme ça qu’ils sont partis. Ils ont quitté leur terrain et leur maison, la maison où leurs fils étaient nés. Ils ont laissé leurs amis et leurs connaissances. Leur monde, leur univers. Ils sont partis vers ce pays voisin et ennemi. Ma-Gracieuse n’avait pas tort. Aucune des histoires que racontaient les Anciens sur ce pays n’était très rassurante. Après tout, les Moabites ne descendaient-ils pas de Moab, lui-même issu de la relation incestueuse entre la fille ainée de Lot et celui-ci après la destruction de Sodome et Gomorrhe ? Et puis, n’avaient-ils pas refusé de nourrir les Israélites quand ils étaient revenus d’Egypte ? Pourquoi accepteraient-ils de les nourrir cette fois-ci ? Un peuple dangereux et inhospitalier.
« Mais quand on a faim, certaines préoccupations passent au second plan. Il n’y avait plus de pain dans cette ‘maison de pain’, quelle ironie. Cela avait duré assez longtemps. C’est ainsi que ce matin-là – ou était-ce la nuit, juste avant l’aurore ? – ils sont partis, laissant derrière eux le Pays Promis où le lait et le miel sont supposés ruisseler, un pays qui ne tient plus ses promesses en ces temps arides. Ils se retrouvent donc sur ce chemin d’exil, lui Mon-Dieu-est-Roi, son épouse Ma-Gracieuse et ses deux fils Maladie et Fragilité. Qu’ont-ils pris avec eux ? Qu’ont-ils laissé derrière eux ?
« Ah mes enfants, » reprit la vieille dame se berçant doucement dans sa chaise à bascule, les yeux toujours fixés sur le feu, « ils ne sont pas les premiers, ni certainement les derniers à espérer trouver l’herbe plus verte ailleurs, à quitter leur terre natale en quête de pain et d’un meilleur avenir pour leurs enfants. Oui, de tout temps, des hommes et des femmes se sont arrachés à leur terre natale de plein gré ou de force. Ils ont parcouru, ils parcourent aujourd’hui encore, des chemins semés d’embûches où le futur est incertain, mais plus prometteur que leur passé. »
A suivre…
Merci pour ce récit audio qui me transporte au cœur de l’histoire (universelle) d’une famille qui fuit la famine et cherche refuge dans un autre pays. Combien de personnes, candidates réfugiées climatiques, trouvent la mort en Méditerranée ou portes closes quand elles se présentent aux abords de l’Europe?
Cette lecture sublime le texte écrit. Merci.