Au secours, mon enfant ne lit que des Bds/Mangas/…
On 17 juin 2021 by MariePour toutes vos questions bibliothéquesques et lecturesques, Dr Bib vous répond !
Charlotte* : Euh bonjour Dr Bib. Voilà, mon enfant ne lit que des Bds et des mangas à longueur de journée. Je ne sais plus que faire. Dr. Bib : Et alors ? Charlotte : C’est grave Dr ? Dr Bib : Ben, non. Il lit, non ? Qu’est-ce que vous voulez de plus ? Charlotte : Et bien disons, euh, enfin vous voyez, des lectures plus sérieuses, de la vraie littérature, comme des romans… Dr Bib : Mais c’est qu’il y a des Bds et des mangas très sérieux et de qualité ! Charlotte : Oui, mais il y a quand même moins à lire… Dr Bib : Peut-être dans certains, mais n’oubliez pas qu’apprendre à lire des images est tout aussi important. Et s’il se plaît au pays des mangas pour le moment, laissez-le, partez à la découverte de ce monde avec lui (vous lisez des mangas, vous ?), discutez de ses lectures avec lui et de temps à autre, faites-lui découvrir autre chose. Mais surtout, laissez-lui le choix de la lecture-plaisir quand c’est possible ! * nom d'emprunt
Bien souvent, nous envisageons la lecture comme quelque chose de progressif et linéaire. Nos premiers pas dans la lecture se situent – si on a de la chance – avec la découverte des albums que nos parents ou instituteurs nous lisent. Et puis progressivement, l’apprentissage de la lecture en primaire nous amène à ouvrir les premiers romans. A ce moment-là, on nous laisse parfois seul et les lectures partagées deviennent plus rares. Après cela, dans cet état d’esprit, nous devrions passer aux romans jeunesse avant de nous tourner vers les classiques, le sésame de la littérature, à en croire certains : le but ultime de l’apprentissage de la lecture !
Comme l’auteur Katherine Rundell le dit si bien dans son petit manifeste Why You Should Read Chrildren’s Books, Even Though You Are So Old and Wise (Pourquoi vous devriez lire des livres pour enfants, alors même que vous êtes si vieux et si sage, 2019), le problème avec ce genre de conception de la lecture – du plus simple au plus complexe –, outre le fait que très peu de personnes lisent comme cela, c’est que vous risquez de finir votre vie avec le déconstructionniste Jacques Derrida comme unique lecture sur votre lit de mort (Rundell, p.9). Il y a plus réjouissant…
Devons-nous vraiment envisager la littérature et la lecture avec cette idée de progression ? N’y a-t-il pas au contraire du mouvement, du va-et-vient dans nos lectures qui nous amènent à être les lecteurs que nous sommes ?
Pour ma part, mon paradigme a changé depuis que j’ai entendu l’auteur belge Thomas Lavachery proposer une autre vision des choses lors d’une conférence dans le cadre de la formation « Lire et faire lire ! 6-12 ans : des lecteurs singuliers pour des livres pluriels » proposée lors de la Foire du Livre 2021 par la CFWB. J’ai adopté cette vision de la lecture et la partage régulièrement aux lecteurs inquiets – et moins inquiets – que je rencontre parfois.
Thomas Lavachery propose ainsi d’envisager nos lectures non comme une pyramide, mais comme une planisphère. Dans le monde des livres, il y a plusieurs continents : le continent des romans, celui des Bds, celui des albums ou encore celui des documentaires ou récits. Et chacun de ces continents est composé de plusieurs pays. Nous pouvons voyager entre ces différents pays et continents, décider de nous installer pour un temps dans l’un ou l’autre, y rester parce que nous nous sentons bien ou parce que nous sommes plutôt casaniers. Ou encore, nous pouvons les explorer de citytrip en citytrip. Les découvertes peuvent donc se faire en voyageant ou, au contraire, en explorant nos alentours.
Chaque pays, chaque continent a ses propres curiosités, ses sites historiques qui valent le détour, mais aussi ses propres coutumes, traditions, voire réglementations. A nous de les découvrir, de les apprivoiser, de les partager. Parfois, nous sommes invités là où nous ne pensions pas aller et d’autres fois nous choisissons nos destinations.
Dans le monde des livres, les voyages sont accessibles à tous. Pas besoin de pass sanitaire ou de tests PCR, une carte de bibliothèque suffira bien souvent à vous ouvrir les portes de nombreux pays et continents. Après tout et comme le rappelle Rundell, les bibliothèques sont encore cet espace où nous ne devons ni acheter, ni connaître quelque chose ou croire en quelque chose pour y entrer : un espace égalitaire par excellence (Rundell, p.51). Qui sait dans quel univers et quel imaginaire vous plongerez si vous poussez les portes d’une bibliothèque, si vous vous laissez entrainer par la curiosité ?
Alors si votre enfant semble rester dans un pays pour quelque temps, laissez-le s’y installer et trouver ses marques. Demandez-lui de vous faire visiter le pays qu’il habite pour le moment et laissez-vous surprendre. Discutez-en. Et n’hésitez pas à l’inviter de temps à autre pour un citytrip. Accompagnez-le s’il le veut bien et suivez-le dans sa découverte ! Et qui sait, dans quelques mois, quelques années, il aura peut-être la bougeotte, vous suivra – ou pas 🙂 – et partira pour d’autres aventures littéraires ?
Combien il est important pour nous, adultes, de lire avec nos enfants!
Pas tant pour que nous leur « expliquions » l’histoire mais bien davantage pour qu’ils nous l’expliquent!
Ils découvrent tellement de choses, surtout des détails, qui n’ont pas retenu notre attention…