Lutte contre la discrimination raciale : des livres pour apprendre, réfléchir, discuter et échanger
On 24 mars 2022 by MarieAlors que j’écris ces quelques lignes, la Russie a envahi l’Ukraine, un attentat suicide a fait 56 morts et au moins 194 blessés contre une mosquée au Pakistan, la guerre en Syrie continue depuis 11 ans, l’Afghanistan est sous emprise Talibane, des réfugiés parcourent les routes et les réseaux sociaux sont des lieux bien trop souvent clivants… Bref, tout va bien. Et au milieu de tous ces conflits divers, on se cache bien souvent derrière des identités figées au risque de bloquer la rencontre avec celui ou celle qui se tient devant nous…
Cette semaine a eu lieu la journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale.
Sur le site de l’UNESCO, on peut lire l’explication suivante : « La lutte contre la discrimination raciale est un élément central du travail de l’UNESCO pour construire la paix dans l’esprit des hommes et des femmes, par l’éducation à la tolérance, le rejet des stéréotypes racistes qui peuvent persister dans la culture ou les médias. »
A cette occasion, je voudrais vous proposer une sélection de livres lus ces derniers mois qui m’encouragent dans cette perspective. Trouvés par hasard ou recommandés par des connaissances et/ou lecteurs de ce blog, ces livres m’aident à cheminer dans mes réflexions, à remettre en question mes idées parfois trop figées, à dialoguer avec mes proches sur des sujets complexes qui demandent à être nuancés.
Suivez-moi pour un petit parcours au travers de six livres qui invitent au partage et à la rencontre avec celle ou celui que je rencontre.
Migration
L’Odyssée d’Hakim de Fabien Toulmé (2018, 2019, 2020)
Roman graphique en 3 volumes, L’Odyssée d’Hakim retrace le parcours d’un migrant syrien. Interpellé par son manque d’implication émotionnelle face aux chiffres répétés concernant les migrants traversant la Méditerranée, Toulmé tente de comprendre davantage ce qui se passe. Il entre en contact avec un réfugié syrien qui accepte de lui raconter son histoire et son périple.
De semaine en semaine, de mois en mois, Fabien et Hakim se rencontrent. Hakim raconte son pays, sa famille, son métier qu’il ne voulait pas quitter, ses rêves. Il contextualise le début de la révolution et de la guerre qui du jour au lendemain bouleverse leur quotidien. Il est forcé à s’exiler. De pays en pays, il cherche des petits boulots et un espace où vivre. Mais progressivement le regard sur les syriens change partout, le forçant chaque fois à aller ailleurs. En Turquie, il rencontre son épouse et ils ont un enfant. Après quelque temps, son épouse peut rejoindre son père en France, mais lui et leur fils doivent rester à attendre. Les papiers ne viennent pas. Hakim finit par décider de prendre la mer et de tenter la traversée vers l’Europe. Un long périple risqué commence pour lui et son fils.
L’histoire et le format permettent de mettre des visages, des récits sur des chiffres bien impersonnels. C’est une histoire parmi tant d’autres qui invite à une rencontre. Avec beaucoup d’humilité, de respect et de pudeur, Toulmé nous donne à voir ce que peut être un parcours de migrant. L’Odyssée d’Hakim est un travail didactique important, accessible dès l’adolescence. Les dessins sont simples et expressifs. Chaque tome commence par une introduction expliquant le pourquoi de cette histoire, permettant au lecteur de s’identifier à la quête de l’auteur. Les couleurs utilisées varient en fonction de l’histoire racontée, séparant ainsi le récit cadre du récit enchâssé. Le roman graphique se porte bien à cet exercice et c’est une lecture que je recommande fortement.
A l’heure où de nombreux réfugiés ukrainiens prennent la route et s’ajoutent à de nombreux autres réfugiés de nationalités différentes, ce livre résonne avec toujours beaucoup d’actualité.
La valise de Chris Naylor-Ballesteros (2019)
Album à destination des enfants, La valise aborde avec douceur les questions de la migration, de ce que le migrant apporte avec lui et de l’accueil qui lui est réservé.
Quand un drôle d’animal débarque fatigué, triste et effrayé, trainant derrière lui une grosse valise, trois autres animaux s’interrogent. Qui est-il et qu’y a-t-il dans sa valise ? Ils ne le croient pas quand il répond qu’il y a une tasse à thé ainsi que son ‘chez-lui’ ; une cabane avec une petite cuisine. Pour connaître la vérité, ils décident de casser la valise de cet animal étranger alors que celui-ci dort et rêve « de sa fuite, des endroits où il s’est caché, des montagnes qu’il avait gravies… »
Une histoire simple et un message fort qui ouvre à la discussion avec les plus petits. Chaque personnage est associé à une couleur (chaude et similaire pour les personnages ‘locaux’) et froide pour l’animal ‘étranger’, que l’on ne reconnaît d’ailleurs pas. Les dialogues reprennent les couleurs de chaque personnage, associant la parole au personnage. L’association des couleurs joue également un rôle à la fin de l’album montrant l’accueil et l’intégration possible. Un bel album à faire découvrir. Vous pouvez également trouver plus d’informations sur cette page et voir une lecture du livre ici.
Pour d’autres albums pour enfants parlant des sujets de la migration et des réfugiés, n’hésitez pas à relire mon article de l’an passé.
Racisme
Comment devient-on raciste ? Comprendre la mécanique de la haine pour mieux s’en préserver. De Ismaël Méziane, Carole Reynaud-Paligot et Evelyne Heyer (2021)
« Je n’ai honte d’aucune de mes identités. Mais je refuse catégoriquement d’être réduit à l’une d’entre elles. » (p.66)
Comment devient-on raciste ? est le résultat d’une quête personnelle du dessinateur et de l’exposé didactique des scénaristes mis en scène en format BD. La BD s’inspire d’une exposition « Nous et les autres. Des préjugés au racisme » qui s’est tenue de mars 2017 à janvier 2018 au musée de l’Homme.
La BD met en scène le dessinateur Ismaël et sa compagne qui attendent un enfant. Cela réveille en lui de nombreuses questions identitaires concernant son identité et le futur de l’enfant (notamment, comment appeler cet enfant, en sachant que le nom donné l’identifiera ou pas à un groupe peut-être discriminé). Que faire ?
Le vécu personnel du dessinateur est alimenté par des discussions qu’il a avec deux chercheuses qui lui expliquent au fil de leurs rencontres différents aspects du mécanisme de la haine et des discriminations qui amènent au racisme.
« Je me suis rendu compte que le monstre, ce n’était pas l’autre mais mes angoisses. » (p.67)
Les exemples pris sont variés tant dans les lieux que dans le temps. Loin d’un discours simpliste où il y aurait des bons et des mauvais, le propos de la BD permet au lecteur de s’interroger sur ses propres réactions, son propre ressenti, sa manière d’envisager ses identités et celles des autres. Un livre qui nous amène à réfléchir à la manière dont la société fonctionne, influence les individus et est à son tour influencée par les personnes.
A lire et à faire lire !
Tous uniques, tous humains
Il y a des livres et des histoires qui nous font voyager dans le temps et l’espace, qui ouvrent une petite fenêtre sur ce que peuvent bien vivre d’autres personnes. Ils nous permettent d’être transportés dans un univers différent du nôtre, dans une autre vie. Grâce au pouvoir des mots, grâce aux talents des écrivains, nous nous rendons compte qu’au fond nous partageons beaucoup avec ces personnages. Après tout, nous sommes tous humains. Certaines histoires ont ainsi le pouvoir de nous faire entrer dans l’intime au-delà des préjugés.
No Home de Yaa Gyasi (2018) Prix des lecteurs Littérature étrangère 2018 FNAC
J’ai été impressionnée par ce livre bien écrit et prenant, premier roman de l’auteur américaine d’origine Ghanéenne, Yaa Gyasi. No Home (Homegoing en anglais publié en 2016) raconte le destin de deux soeurs nées de la même mère au Ghana il y a 300 ans. Elles ne se connaissent pas et auront des vies bien différentes. L’une devient la femme d’un marchand d’esclave anglais alors que la seconde est vendue comme esclave et envoyée en Amérique. Le livre retrace leur histoire et celles de leurs descendants jusque maintenant. Chaque chapitre raconte ainsi l’histoire d’un personnage de cette famille, passant d’une génération à l’autre, d’une branche de la famille à l’autre.
J’ai été happée par ces récits à la fois individuels et collectifs, curieuse de savoir ce qui allait arriver ; l’écriture de Gyasi est envoûtante et impressionante, nous faisant rentrer dans les récits avec aisance. Le style et en particulier les dialogues varient d’une époque à l’autre, d’une région à l’autre; les faits sont bien documentés et intégrés avec justesse. Bien entendu, certains récits m’ont plus interpellée que d’autres mais l’ensemble du roman est égal et excessivement bien construit et écrit.
Au travers de l’histoire traumatique de cette famille et de ces individus, Gyasi soulève subtilement plusieurs questions quant à la manière dont l’histoire est racontée et donne à réfléchir sur la transmission des traumatismes ; sont-ils intergénérationnels / culturels / inscrits dans la mémoire physique ou collective ? De part ce parcours de 300 ans, Gyasi aborde de nombreuses difficultés vécues par ces personnes et reflète l’histoire du peuple Ghanéen ainsi que des américains descendants d’esclaves. S’il décrit de nombreuses situations traumatiques et dures, le livre est néanmoins porteur d’espoir.
Ruth
Le livre biblique de Ruth sur lequel je travaille toujours (j’espère pouvoir poster quelques articles après les vacances de Pâques) continue d’être une source d’inspiration pour réfléchir à mes relations avec des personnes de contextes différents du mien. En particulier, la manière dont le livre aborde la notion de bonté (d’hesed) et son côté cumulatif (la bonté entraine la bonté) m’encourage énormément.
Essai histoire : et si l’homme était bon ?
Humanité, une histoire optimiste de Rutger Bregman (2020)
Un dernier livre dont je voudrais vous parler brièvement aujourd’hui est Humanité, une histoire optimiste de l’auteur néerlandais Rutger Bregman. Ecrit en 2020 et publié en de nombreuses langues, ce livre apporte un regard nouveau et optimiste sur l’histoire de l’humanité. Rien que ça ! De quoi aider à » construire la paix dans l’esprit des hommes et des femmes ».
Faute de temps et d’espace, je vous propose ici un résumé succinct de quelques-unes de ses idées, mais son livre mériterait une attention plus particulière.
L’idée centrale de Bregman est que la plupart des gens, au fond d’eux-mêmes sont bons. Et que bien souvent lors d’une catastrophe, on voit le meilleur des gens ressurgir. Cela m’a fait penser à un article récent dans The Guardian où un habitant de Kiev expliquait que depuis le début de la guerre, les gens étaient plus gentils et solidaires les uns envers les autres.
Bregman va donc à contre-courant de l’idée ambiante que les hommes sont mauvais et tente de le démontrer par de nombreux exemples/relectures d’évènements historiques, d’études sociales et psychologiques, de trouvailles archéologiques etc. afin de proposer ce qu’il appelle un ‘nouveau réalisme’. Dans le domaine de la pensée, il oppose les théories de Thomas Hobbes (1588-1679) – le pessimiste qui veut nous faire croire que l’homme est mauvais – à celles de Jean-Jacques Rousseau (1712-78) – l’optimiste qui croit qu’au fond de nous, nous sommes bons.
Son livre est captivant et malgré ses 400 pages se laisse lire facilement. Bregman brasse large et nous fait lui aussi voyager dans le temps et l’espace. Il revisite de nombreuses croyances et mythes pour démontrer sa thèse. Il examine entre autre l’effet des bombes sur la population pendant le Blitz, part à la recherche de vrais enfants ayant vécu seuls sur une île (et où l’histoire diffère de la fiction de William Golding, Sa majesté des mouches), revisite nos conceptions sur la préhistoire et l’évolution ou encore sur l’histoire de l’ile de Pâques, relit les expériences des années 70 de Philip Zimbardo et Stanley Milgram à la lumière des archives récemment ouvertes. De façon analogue au film-documentaire Demain, il examine ensuite des situations où le fait de croire en la bonté fondamentale des autres donne des résultats convaincants (que ce soit dans une école, dans les prisons norvégiennes ou encore dans une démocratie réellement participative).
Vers la fin de son livre, son chapitre intitulé « Le meilleur remède contre la haine, le racisme et les préjugés » examine les résultats d’années de recherches du psychologue Gordon Allport qui a réfléchit toute sa vie aux deux questions suivantes : d’où viennent les préjugés et comment les prévenir ? Ses conclusions sont tout simplement : plus de contact. Le meilleur remède contre le racisme serait d’entrer en relation les uns avec les autres, d’apprendre à se connaître. Il étaye ses propos de plusieurs illustrations.
Son chapitre sur l’empathie et la manière dont celle-ci nous aveugle bien souvent, ne nous rendant pas juste m’a également interpellée. L’empathie met l’accent sur une personne ou un groupe de personnes. Il nous est impossible d’être empathique envers l’humanité entière. Alors que nous voulons aider ces personnes, nous oublions les autres, nous tendons à généraliser sur les autres, qui deviennent bien souvent des adversaires (à combattre). Nous pouvons ainsi selon Bregman être l’espèce la plus amicale de la terre, mais également la plus cruelle. Pour remédier à cela, il suggère dans son épilogue de travailler plus sur la compassion et non l’empathie. Il explique la différence, mais la nuance qu’il donne m’a échappée et je reste un peu sur ma faim par rapport à cet aspect particulier. Mais cela reste une idée que je voudrais pouvoir approfondir et mieux comprendre.
Si la lecture m’a parue dans l’ensemble plutôt convaincante et encourageante, je ne pouvais pas m’empêcher de m’interroger sur les sources qu’il utilise et l’interprétation qu’il en fait. Mes connaissances étant limitées dans de nombreux domaines, j’aurai probablement tout autant cru ceux qui avançaient les hypothèses inverses sur le même sujet. Le fait qu’il offre une vision aussi globale est à la fois un avantage (permet de mesurer l’étendue de ses propos) et un inconvénient (jusqu’où a-t-il les connaissances pour appréhender cela).
Ceci dit, malgré ces quelques réserves, je recommande la lecture de ce livre qui alimente la réflexion et peut mener à un débat intéressant.
D’ailleurs si vous l’avez lu (ou d’autres de cette liste), n’hésitez pas à m’écrire ou à laisser un commentaire sur vos impressions.
Merci Marie,
Un sujet qui me touche.
Je vais essayer de me procurer les livres que je n’ai pas lus. Merci pour tes partages et commentaires.
Belle journée !
Danielle