Ruth, une histoire pour la Pentecôte ?
On 3 juin 2022 by MarieLa Pentecôte approche et je repense à ce lien qui existe entre Chavouot et le livre de Ruth. Chavouot, aussi appelée la fête des semaines, est cette fête juive qui a lieu sept semaines après la Pâque et au cours de laquelle les disciples de Jésus ont reçu le don du Saint-Esprit, comme raconté en Actes 2.
Je me rappelle avoir lu quelque part que le rouleau de Ruth est lu chaque année lors de cette fête, une des trois fêtes de pèlerinage qui rappellent les étapes de la sortie d’Egypte.1 Ce jour-là, les juifs célèbrent le don de la Loi ; c’est la fête de la Révélation, mais aussi la fête des Prémices et de la Moisson, moment où les prémices agricoles sont offertes 2 A cette occasion, les synagogues et les maisons sont décorées avec de la verdure, des feuilles, des fleurs, des plantes… Le matin, à la synagogue, les Dix Paroles (ou les dix commandements) sont lues. Les juifs se souviennent et célèbrent ce moment fondateur où Dieu donna la Loi à Moïse au Sinaï, alors que le peuple sortait d’esclavage. L’histoire de Ruth est ensuite lue.3
Mais pourquoi lire Ruth à ce moment-là ? Quel est le lien entre le don de la Torah4 et l’histoire champêtre de Ruth ? J’ai beau lire et relire le texte, il n’est pas question d’étude ou de redécouverte de la Torah. De quoi s’agit-il donc ? Et quelle conception du livre cette combinaison donne-t-elle à voir ?
Serait-ce juste une gentille petite évocation pastorale qui trouve sa place dans le calendrier liturgique grâce à la période des moissons ? N’est-ce pas un peu léger ?
Ruth et la Torah
Mes recherches ne mènent pas à une réponse nette et tranchée. Plusieurs hypothèses coexistent5 et mettent en lumière des lectures multiples du livre de Ruth. Si certains évoquent ce lien entre la période de la moisson de l’orge à la fois dans le récit de Ruth et au moment de la célébration de Chavouot, d’autres font le lien avec la Loi.
Comme Israël a reçu la Torah au Sinaï et a décidé de lui obéir, Ruth elle aussi, de part son entrée dans le peuple d’Israël, reçoit la Torah. La Torah permet à Israël de rassembler et accueillir ces personnes qui appartiennent au peuple de Dieu mais sont dispersées parmi les nations. Israël est maintenant prêt à recevoir quiconque souhaite entrer dans l’Alliance.
Une interprétation midrashique6 veut que la Torah ne puisse être comprise que par ceux qui souffrent. De par sa souffrance, Ruth a pu réellement comprendre et accueillir la Loi.
Un anniversaire à fêter ?
Selon une autre tradition encore, le livre de Ruth serait tout simplement lu lors de Chavouot parce que l’arrière petit-fils de Ruth, le roi David serait né et mort le jour de Chavouot. Ce qui limite légèrement l’apport du livre…
Débat autour de la Torah orale
Il y aurait aussi une explication plus historique qui voudrait que l’ajout de cette lecture soit dû à une polémique concernant la Torah orale avec les Karaites (un mouvement juif qui remettait en question la Torah orale, le Talmud, et ne se basait que sur le texte écrit). Le fait de lire le livre de Ruth à Chavouot, jour où l’on célèbre le don de la loi aurait permit de valider indirectement la Torah orale.7
Ruth, la Loi et la bonté
D’autres commentateurs estiment que la Torah et Ruth parlent fondamentalement de la même chose : de ‘chesed’, de cette bonté, cette bienveillance, cette fidélité dont Ruth et Boaz font preuve. Pour rappel, ce terme hébreu désigne une action que quelqu’un pose pour le bénéfice d’une autre personne, non par devoir, mais par bonté pure.8 Le livre de Ruth donne ainsi à voir comment la Torah peut être comprise et vécue. Le maitre hasidique Sefat Emet ajoute que le livre de Ruth enseigne que les actions et pas seulement l’étude sont l’essence d’une vie bonne. Dire cela lors de la fête de la révélation où la tradition est de passer la nuit à étudier les textes de la Torah et du Talmud9 est un puissant rappel que les deux vont ensemble.
La fête de Chavouot, la fête de la Pentecôte
Mais s’il est intéressant de connaître ce lien entre Chavout et Ruth, est-ce que cela apporte quelque chose à la compréhension de la fête de la Pentecôte que nous nous apprêtons à célébrer ? A la Pentecôte, les chrétiens célèbrent le don du Saint-Esprit, le consolateur envoyé pour nous éclairer, aider à interpréter les Ecritures à la lumière de la vie du Christ. Ne pourrait-on pas dire que c’est finalement ce même Esprit qui traverse la Torah mais aussi l’histoire de cette Moabite et qui nous invite à faire preuve de ‘chesed’ dans nos vies, dans notre quotidien ?
Références
- Anthologie du judaïsme, 3000 ans de culture juive. Ed. Francine Cicurel, (Nathan, 2007), p.82. Les deux autres fêtes étant Pessah (« Pâques ») et Souccoth (« Cabanes »).
- Anthologie du judaïsme, p.81. Dans son livre Le Judaïsme, toute une vie. (Racines, 2015), Albert Guigui montre que cette fête célèbre en fait plusieurs évènements comme les différents noms l’attestent (p.208).
- Marc-Alain Ouaknin, Symboles du Judaïsme (Editions Assouline, 1995), p.98.
- Au sens étroit, la Torah correspond au Pentateuque, la première des trois parties du Tanakh, la Bible hébraïque juive, au sens large, la Torah représente l’ensemble de la loi juive.
- Je reprends ici les différentes pistes/explications données par Eskenazi, Tamara Cohn, et Ro-Tivka Frymer-Kensky. Ruth. The JPS Bible Commentary. (Philadelphia: Jewish Publication Society, 2011), p.xxvi.; Florence et Thierry Mathieu, Ruth, une amie sur le chemin. (Parole et Silence, 2014), Pp.17-18. reprennent également certaines de ces explications.
- « Midrash : Commentaires rabbiniques de la Bible recourant également à des récits et à des paraboles. » Anthologie du judaïsme, p.450.
- Notamment en ce qui concerne la réinterprétation de Deutéronome 23.4 où les Moabites sont exclus du peuple juif. Dans cette compréhension, le mariage de Ruth et de Boaz, découlant sur la lignée de David, montre que la Torah orale a toute sa place en complément à la loi écrite.
- Katharine Doob Sakenfeld, Ruth. Interpretation : A Bible Commentary for Teaching and Preaching. Edité par James Luther Mays (Louisville, Kentucky : Westminster John Knox Press, 1999), 24.
- Ouaknin, Symboles du Judaïsme, p98.
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