Hesed, une histoire de tendresse, de bonté, de fidélité (2/2)
On 20 octobre 2022 by MarieVous pouvez lire la première partie ici
« Olala, je me laisse emporter… Mais qu’en est-il de hesed dans le livre de Ruth, me direz-vous… C’était votre question initiale, n’est-ce pas ? J’y viens… Qu’est-il à dire ? Comment le livre de Ruth met-il en scène cette notion de hesed ? Après tout, le mot en lui-même n’apparait que trois fois (en Ruth 1.8, Ruth 2.20 et Ruth 3.10) mais dans une certaine manière, on pourrait dire que le concept de hesed est à la base de tout le livre et joue un rôle essentiel dans sa théologie. Vous me suivez toujours ? Je vais essayer d’être le plus clair et concis possible.
Hesed est contagieuse et transformatrice
« Dans une certaine mesure, et en cela je rejoins l’interprétation de Rabbi Zeira,1 l’objectif du livre de Ruth est de montrer comment hesed peut être mis en marche et les conséquences que cela peut avoir. Rappelez-vous que l’action du livre de Ruth est campée dans la période trouble des Juges. L’instabilité nationale est reflétée dans le drame familial au sein de la famille d’Elimelech et ce dès les premiers versets. En toile de fond, on trouve donc cette question :
Quand votre monde s’écroule, quand tout autour de vous semble abandonné, comment réagissez-vous ? D’ailleurs comment réagiriez-vous si vous étiez Naomi ou Ruth et aviez perdu votre mari et peut-être vos fils, que vous étiez sans rien, étrangère dans un monde qui n’a plus rien à vous offrir ?
« Dans ce contexte peu prometteur, le choix de Ruth pour la hesed est d’autant plus remarquable et surprenant. Mais la beauté de tout cela réside dans le fait que les autres personnages de l’histoire vont eux aussi petit à petit entrer dans cette chaine de bonnes actions. D’une certaine manière, la narration de ce livre biblique « illustre ce à quoi hesed ressemble et promeut l’idée selon laquelle hesed est contagieuse et transformatrice quand elle est cultivée. »2. Et c’est précisément cela qui conduira le récit à passer de l’infertilité et de la famine à la fertilité et à la vie. »
Occurrences de hesed dans Ruth
Sur ces paroles, le chercheur arrête quelque peu abruptement son discours passionné et fait une nouvelle pause. Après quelques minutes, il ajoute pensivement :
« Avez-vous remarqué comme ce sont les étrangers qui sont les premiers à témoigner de la bonté dans ce récit ? La première occurrence du livre se situe en Ruth 1.8 quand Naomi parle précisément de cette fidélité que Ruth et Orpa lui ont démontré à elle et à sa famille. Elle leur souhaite que Dieu puisse leur rendre cette bonté. Des étrangères ! En demandant à Dieu d’accorder de la hesed à ses deux belles-filles, Naomi reconnaît comment ces Moabites ont agit avec bonté et bienveillance envers elle et les membres de sa famille décédée. Elle en est reconnaissante et leur souhaite le meilleur alors qu’elle les enjoint à rentrer chez elles, dans leurs familles d’origine, avec l’espoir qu’elles pourront y trouver un mari. Ceci dit en passant, remarquez qu’Orpa est incluse avec Ruth. Quoiqu’il en soit, cette première apparence du mot hesed en lien avec des étrangers n’a pas dû passer inaperçu pour ceux qui dans l’auditorat juif méprisaient les étrangers et en particulier les Moabites.
« Et ensuite ? Comme souvent avec hesed, cela ne s’arrête pas là, que du contraire. S’accrochant à Naomi, Ruth continue ce qu’elle a commencé, démontrant encore plus de bonté et embarquant à sa suite ceux qu’elle rencontre. Booz remarquera sa dévotion et sa fidélité envers sa belle-mère et à son tour lui témoignera de la générosité. Cela amènera Naomi à exprimer sa reconnaissance en Ruth 2.20 dans une phrase qui reste – délibérément ? – ambiguë. Dans le texte hébreu, l’antécédent de « celui qui n’abandonne sa fidélité » (TOB) demeure obscur : est-ce que Naomi fait référence au Seigneur ou à Booz ? Quoiqu’il en soit, cela déclenche en Naomi le désir d’agir elle aussi et de trouver une meilleure solution pour Ruth et son futur, ce qui in fine permettra à Booz de marier Ruth.
La dernière occurrence du mot hesed dans le récit se situe en Ruth 3.10 quand Booz s’adresse à Ruth au milieu de la nuit. Il reconnaît alors ses actes de fidélité et de bonté, à la fois envers sa belle-mère et du fait qu’elle soit venue le voir lui plutôt que de courir après de jeunes hommes. Selon Sonnet, cette remarque à propos des jeunes gens semble confirmer la possibilité d’une sous-intrigue que redoute Naomi.3
Le choix de la générosité humaine
« Outre ces trois occurrences du mot hesed, je crois réellement que le texte tout entier est insufflé de cette notion. La générosité humaine se retrouve ainsi au centre de la narration. Même quand les personnages se souhaitent mutuellement la bénédiction de Dieu, ils deviennent en quelque sorte des agents de la volonté de Dieu.4 Et à la fin du récit, Dieu y apparaît discrètement et montre lui aussi de la bonté alors qu’il permet à Ruth de tomber enceinte (4.13). On pourrait dire qu’il continue ainsi la chaine de bonnes actions commencée librement par les humains au coeur de leurs situations propres. Dans un sens, le livre de Ruth semble indiquer que « c’est quand les personnes ont pris soin les uns des autres que Dieu intervient »5. Cela permet d’identifier cette affirmation théologique audacieuse selon laquelle « des gens centrés sur Dieu incitent Dieu à se présenter/se pointer »6.
« Voici encore un extrait de l’excellent commentaire du JPS sur Ruth :
« La question centrale que l’on pourrait se poser est celle-ci : que devons-nous croire ou faire dans un monde où la présence de Dieu n’est pas évidente ? Si nous examinons Ruth à l’aune du la situation historique de Juges, la question devient encore plus pointue : que devons-nous faire dans un monde où le chaos et la violence sont répandus ? En réponse à ces questions, Ruth esquisse une théologie de la générosité-hesed qui dépasse le devoir. La hesed humaine, quand elle est cultivée correctement ‘dans l’intérêt du ciel’ (pour reprendre une formulation rabbinique ultérieure), à un réel pouvoir pour le bien même quand – et peut-être même justement quand – la présence de Dieu n’est pas autrement perceptible. »7
« A la fin, ce que j’apprécie par-dessus tout dans tout ce discours sur hesed dans le livre de Ruth c’est que
« ce n’est pas tant un cas de bonnes personnes faisant de bonnes actions, mais plutôt un exemple de comment des gens ordinaires avec des motivations diverses deviennent extraordinaires par la cultivation de hesed. »8.
JPS, l
Ou pour le dire autrement en prenant les mots de Katharine D. Sakenfeld, « du début à la fin, cette histoire illustre la manière dont les actions fidèles, la bienveillance/gentillesse et la bonté produisent un surplus qui peut à la fois briser des murs d’hostilité et ouvrir de nouveaux horizons à des vies brisées. »9
Il s’arrête et me regarde avec un grand sourire :
« Ah hesed ! Ce livre de Ruth est un bijou dévoilant comment la générosité hesed peut porter des fruits même dans un monde où l’adversité règne et semble avoir le dernier mot. De quoi nous faire réfléchir, vous ne trouvez pas ? Mais je devrais arrêter là et vous laisser partir avant de commencer à vous ennuyer avec toutes mes réflexions… »
Alors que quelques minutes plus tard, j’émerge de ce bureau sombre et poussiéreux dans la clarté de la journée, je suis éblouie. Les rayons du soleil sont intenses, les couleurs vives. Les sombres et misérables journées d’hiver sont derrière nous et ont laissé place à la beauté magnifique de la nature. Ce matin, le soleil brille dans un ciel bleu sans nuage et les arbres bourgeonnent. De jeunes feuilles, d’un vert vibrant et lumineux semblent éclore tout autour de moi. Les pommiers dans le verger sont en fleurs. Le temps s’est arrêté en compagnie de cet homme. Je buvais ses paroles, découvrant de nouvelles perspectives, percevant un bijou que je n’avais pas encore compris. Ses mots encore dans mon esprit, j’ère dans le village qui m’entoure et le regarde avec de nouveaux yeux. Oui, le monde peut s’écrouler, le ciel peut s’assombrir, l’intensité présente dans ces feuilles et ces fleurs ne diminuera pas. Un vrai symbole de vie, de renouveau. La vie vaut la peine d’être vécue. Le vert vif et insouciant des arbres appelle inexorablement à des jours meilleurs. La générosité de ce début de printemps fait écho au hesed représenté dans le livre de Ruth.
References
- JPS, xlix
- JPS, l
- Jean-Pierre Sonnet, A l’ombre de ses ailes, le livre de Ruth, une lecture narrative. Le livre et le rouleau, 56. Eds. Didier Luciani et Jean-Pierre Sonnet, (Bruxelles : Editions Jésuites, 2021), p.124.
- JPS, li. « what one person wishes for another comes to fruition principally through the actions of the well-wisher. » et « as Hubbard has it : God ‘acts through human agents… when people act with hesed, God is acting in them’ »
- JPS, lii. Ma traduction.
- JPS, lii
- JPS,liii. Ma traduction.
- JPS, l
- Sakenfeld, 45-46, ma traduction.
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